Analyse postérieure au colloque du référendum suisse du 10 juin 2018

En complément des actes de notre colloque sur la monnaie pleine, il nous a paru utile de faire une courte analyse des résultats de la votation du 10 juin 2018 en Suisse.

MONNAIE PLEINE

M. Jean-Pierre GÉRARD Chef d’entreprise, président du club des numéros 1 mondiaux à l’exportation, président du G21 et de l’institut POMONE

7/7/20245 min read

Premièrement, intéressons-nous aux résultats bruts :

Voici les résultats par région linguistique et type d’habitat : VOTE OUI

On ne peut pas dire que cette votation ait enthousiasmé les foules puisque la participation n’a été que de 34 % alors que la participation aux dernières votations, n’a jamais été inférieure à 40 %. Il faut noter que les participations sont en général assez faibles, à l’exception de celles qui touchent à l’identité de la Suisse. Cela a été en particulier le cas lors du refus de la Suisse d’appartenir à l’Union Européenne en 1992, où la participation a été de 78,3 %.

Globalement, la proposition de la monnaie pleine a été très largement refusée par le corps électoral. Dans tous les cantons, la proposition a été rejetée à plus de 70 % à l’exception du canton de Genève qui n’a rejeté la proposition qu’à 59,73 %.

Le tableau ci-dessus donne des informations intéressantes sur la répartition des votes entre les cantons. Pour avoir des détails on peut aller sur le site de l’Office fédéral de la statistique, où l’on a une carte animée, difficilement lisible mais assez intéressante.

On peut faire les remarques suivantes :

Il y a une très nette différence entre les différentes régions de Suisse. La Suisse romande a eu une attitude plus positive (en faveur de la monnaie pleine), que la Suisse alémanique et que la Suisse italienne, même si celle-ci a voté plus favorablement que la moyenne suisse (24,3 %)

Les communes rurales et les communes d’agglomération ont été beaucoup plus conservatrices (le oui était perçu comme risqué). Les consultations électorales sur la monnaie dans tous les pays du monde sont toujours très difficiles. L’inquiétude est toujours très forte de voir un changement mal maîtrisé. La différence entre les communes rurales et les centres urbains est de 6,5 points en Suisse alémanique, 8,7 points en Suisse romande, et 0,7 en Suisse italienne.

Les banques ont fait une campagne électorale extrêmement puissante et assez violente. Ils ont utilisé très largement les analyses du professeur Jean-Pierre Chevallier, qui affirme que les banques ne créent absolument pas de monnaie. Peut-on être convaincu de cette démonstration, lorsque la masse monétaire mondiale est de plus de 800 000 milliards de dollars par la création sur plus de 20 ans de produits dérivés non maitrisés et aux contenus non définis (p.ex. quelle proportion de subprimes dans certains vecteurs de refinancements), alors que la masse monétaire des sociétés non financières au niveau mondial est de l’ordre de 250 000 milliards de dollars (FMI).

À présent penchons-nous sur les impressions données par ses résultats.

Personnellement je trouve que le résultat n’est pas si mauvais que cela. L’opposition à cette proposition, était largement menée par le conseil fédéral, par les banques. Il est quand même à souligner que :

  • Il y eut une très nette différence entre les banques fortement liées à l’internationalisation de l’économie suisse comme c’est le cas dans le canton de Genève et que les citoyens de ce canton ont pu analyser les dégâts en particulier en France et aux USA).

  • En revanche, le système bancaire avec les banques cantonales (un peu analogues à nos caisses mutuelles CA, Crédit Mutuel avant qu’elles n’aient une banque d’investissement) ne voyait pas de raison de changer un système qui est assez proche des citoyens.

  • En Suisse alémanique, où les réflexes bancaires sont plus proches des réflexes allemands, le système bancaire n’a pas la même internationalisation que ce que nous avons connu en France.

Le conseil fédéral avait mis tout son poids politique contre le projet et dans ce domaine monétaire les autorités politiques en place ont toujours eu un comportement défavorable à toute expression citoyenne sur les problèmes monétaires. Les responsables politiques ne veulent jamais parler monnaie car disent-ils, on attaque la crédibilité du pays.

Je suis en total désaccord avec cette affirmation. C’est malheureusement l’inverse qui se passe généralement, car toujours les responsables estiment que la valeur de la monnaie est intouchable, même si les politiques économiques menées conduisent à une situation économique, sociale et politique intenable.

  • Voir les dévaluations de la livre tout au long du 20ème siècle.

  • Voir également les dévaluations compétitives au sein de l’union européenne avant l’euro.

  • Voir également les problèmes créés par les parités rigides au sein de l’euro, provoquant des phénomènes de paupérisation de zones entières de l’Union Européenne.

Pour conclure, la banque nationale Suisse n’a pas le monopole de la création de monnaie. Et les banques commerciales n’ont pas toute latitude pour exercer cette liberté de création. Mais la dérive est telle qu’il était essentiel de créer l’inquiétude.

Mais pour tous les gouvernants du monde entier, la question posée était assez iconoclaste. Il était inutile d’espérer l’emporter, mais il est quand même satisfaisant de voir que les villes ou les problèmes monétaires sont les plus sensibles et sans doute le mieux compris, étaient plus favorables à l’initiative « monnaie pleine ». Sans doute les enjeux réels étaient-ils difficiles à faire comprendre dans des délais assez courts. Car la monnaie a un rôle ambigu, en excès et surtout en mauvaise utilisation, elle peut provoquer soit l’inflation, (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui), soit une répartition nationale et internationale des richesses qui n’a rien à voir avec utilité collective.

La masse des produits dérivés est arrivé à de tels excès qu’il faudra bien un jour ou l’autre réduire leur importance au niveau mondial. Sans action prévisionnelle (et malheureusement c’est le plus probable), Il risque fort d’y avoir une crise financière violente pour ramener à plus de réalité la masse des endettements publics et privés de toutes les économies développées. Le système financier mondial a pris son autonomie et l’on ne sait plus distinguer la spéculation utile de la spéculation inutile et dangereuse. Cet excès de liquidités de l’ordre de 500 à 600 000 milliards de dollars devra bien être résorbé.

Les pouvoirs publics dans tous les pays en sont bien conscients. Partout ils ont réduit leurs responsabilités dans le maintien du pouvoir d’achat de la monnaie de leurs pays respectifs, en cas de crise. En France en particulier, les dernières lois du gouvernement Hollande ont supprimé totalement la propriété des avoirs en banque des particuliers. Les clients des banques ne sont plus propriétaires des sommes déposées sur leurs comptes bancaires et ne sont plus que des créanciers à qui en cas de difficultés on pourra exiger d’abandonner tout ou partie de leurs créances. (Simultanément on exige des particuliers de mettre tous leurs avoirs en banque et on limite drastiquement l’utilisation de la monnaie fiduciaire).

C’est ce que craignait Maurice Allais, et seul l’avenir convaincra les sceptiques, mais après quelles souffrances, ils comprendront combien il avait raison.