Comparaison macroéconomique France - Allemagne
Description de l'article de blog.
ECONOMIEUNION EUROPÉENNE / ZONE EURO
par Jean HERNANDEZ, Jean-Pierre GÉRARD, M. KERBER, Christophe-Alexandre PAILLARD, Frédéric GRASSET, JL. TARI
7/7/202422 min read
Il est courant en France de dire qu’il faut « ressembler à l’Allemagne » autant que possible.
Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Je me suis dit que la meilleure façon de faire était de comparer les systèmes productifs, et de le faire à travers les comptabilités nationales. C’est-à-dire notamment les comptes des entreprises non-financières.
Ressembler à l’Allemagne n’est pas être exactement pareil, mais plutôt avoir des structures qui s’en rapprochent. Comparez des chiffres, c’est assez simple. Mais ce qui m’a semblé plus intéressant est de regarder l’effort qu’il fallait faire en matière financier, les sommes qu’il fallait déplacer dans l’économie française pour ressembler à l’économie allemande.
J’ai finalement construit une économie allemande virtuelle, une économie que je nomme arbitrairement ici « Allemagne rectifiée » : il s’agit simplement d’une Allemagne réduite aux dimensions françaises avec un coefficient appliqué à l’ensemble des postes des comptes allemands.
Alors quel coefficient choisir ?
Si on prend les entreprises productives, les sociétés non financières, soit on pouvait prendre les rapports de valeur ajoutée par secteurs, soit on prenait l’ensemble des valeurs ajoutées. Cette dernière solution retenait la part des valeurs ajoutées des entreprises non financières dans l’économie allemande. Autrement dit la conversion était une comparaison dans un cadre économique d’ensemble. Mais comme le rôle des entreprises non financières est plus important en Allemagne qu’en France, il est bien évident qu’on défavoriserait la France et lui demanderait un effort plus important.
Regardons le tableau intitulé [compte nationaux Allemagne France, sociétés non financières 2016].
Vous avez trois types de comptes :
• Les comptes courants
• Les comptes en capital
• Les comptes financiers
Les deux premiers représentent les mouvements de l’économie proprement dit.
Les comptes financiers visent à retracer l’évolution de la situation financière des différents secteurs.
NB : dans les tableaux en annexe les cases en jaune correspondent aux chiffres cités dans le commentaire.
– Commençons par les Comptes coutants.
Trois colonnes : Allemagne, Allemagne « ajustée », France.
1er compte = le Comptes de production.
Ce compte dégage la valeur ajoutée nette. La valeur, en brut, c’est-à-dire avant amortissement.
On observe une relation 2/3 vs 1/3.
1 809 393 (All) vs 1 142 947 (Fr).
Si maintenant on compare France et Allemagne « ajustée » la différence est de 10,2%
1 272 546 (All.aj) vs 1 142 947 (Fr).
La différence = 129 599 millions d’€.
Si donc on voulait que la France ressemble à l’Allemagne, il faudrait déplacer 130 milliards d’euros de ressources financières. C’est-à-dire environ 6,5% de la valeur ajoutée vers les entreprises.
2ème compte = le Compte de production du revenu.
Il dégage l’excédent brut d’exploitation, principalement par déduction du coût salarial de la valeur ajoutée. Vous avez en ressources la valeur ajoutée qui était dans le compte de production.
751 384 (All), 528 448 (All.aj), 365 008 (Fr).
La différence = 163 milliards d’euros, c’est-à-dire 8% du PIB.
Si on regarde le poids de la masse salariale, il est à peu près semblable entre Allemagne « ajustée » et France: 754 076 vs 749 791. Mais la part des salaires dans la valeur ajoutée est beaucoup plus forte en France 66% contre 59% pour l’Allemagne en raison du volume de la valeur ajoutée.
Les taxes et subventions sur la production sont plus favorables, contrairement à ce qu’on pourrait penser, en Allemagne qu’en France. La différence est de 28 milliards, cela compte peu.
3ème compte = le Compte d’allocation du revenu primaire.
En ressources 751 milliards (All), 528 (All.aj) et 365 (Fr)
En revenus primaires 507 milliards (All), 357 (All.aj) et 289 (Fr)
Les entreprises allemandes distribuent plus de revenus de la propriété en net que les françaises.
Les entreprises allemandes distribuent 244 milliards en réel contre 76 pour les françaises.
Les entreprises françaises servent plus d’intérêts qu’elles n’en reçoivent.
Les entreprises allemandes servent moins d’intérêts qu’elles n’en reçoivent.
Cela est à mettre en relation avec un endettement plus élevé en France.
Les distributions nettes de dividendes par les entreprises allemandes dépassent considérablement la balance des dividendes des entreprises françaises. Ce sont 190 milliards en Allemagne « ajustée » contre 50 en chiffres français.
On peut hasarder l’hypothèse d’une rentabilité des capitaux propres plus importante en France. Mais cela est très difficile à déterminer. On verra qu’il y a de grandes incertitudes sur les statistiques financières allemandes.
Vous voyez un tableau intitulé [memo entrepreneurial income account] c’est le revenu de l’entreprise avant taxes et impôts. La France a 289 milliards contre 356 pour l’Allemagne « ajustée ».
4ème compte = la Distribution secondaire du revenu.
Il retrace les prélèvements fiscaux, les cotisations sociales et l’ensemble des opérations de transfert.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le montant des impôts n’est pas plus élevé en France qu’en Allemagne. Il est de 40 milliards pour la France et de 51 milliards pour l’Allemagne « ajustée ».
La pression fiscale par rapport au profit brut est quasiment identique dans les 2 cas.
Il est assez intéressant de rapporter les impôts courants aux profits bruts: on a 8.6% en Allemagne et 8% en France.
Il apparait par ailleurs que les entreprises françaises subissent des charges importantes au titre des transferts courants. Ce sont 36 milliards en comparaison des 20 milliards de l’Allemagne « ajustée ».
C’est le coût de la démocratie sociale à la française.
La conclusion la plus intéressante est dans le solde du compte.
Les sociétés françaises font apparaitre un revenu disponible inférieur de 24% à celui de l’Allemagne « ajustée ». Il couvre à peine la consommation de capital et on aboutit au total à une épargne nette négative.
Vous avez pour la France une épargne brute de 225 milliards contre 228 milliards de consommation de capital fixe. La différence est de -2 159.Autrement dit c’est ce qu’il faudrait investir dans l’année pour maintenir les capacités de production. Dans le cas de l’Allemagne « ajustée », ces chiffres sont respectivement 295 610, 216 218 et une différence de +79 393.
L’épargne française ne couvre pas la totalité de la consommation de capital.
Les entreprises françaises font bien un effort d’investissement, mais celui-ci est financé par l’endettement et non pas par l’épargne.
– Regardons les Comptes en capital.
Ils retracent l’investissement.
1er compte
Ce compte retrace les transferts en capital, vers et à partir des entreprises.
Pour le cas de la France, l’insuffisance de l’épargne est quelque peu compensé par ces transferts en capital, principalement des subventions d’investissement qui sont supérieures à ce qui est accordé aux sociétés allemandes.
Il faut bien voir que dans les entreprises non financières vous avez l’ensemble des entreprises nationales.
Probablement, l’Allemagne subventionne-t-elle moins son système productif que ne le fait la France.
2ème compte = acquisition d’investissements
Ce compte retrace les acquisitions de biens en capitaux, corrigé des transferts.
La France dégage là des capacités qui lui faisaient défaut dans le cadre des comptes courants.
Pour la France, les investissements bruts financés sur ces ressources se sont élevés à 290 milliards. Contre 236 milliards pour l’Allemagne « ajustée ». La France maintient donc un effort d’investissements étonnant par rapport aux autres pays de l’Europe (hors Allemagne).
Cependant, compte-tenu de l’épargne brute des sociétés, les françaises font apparaître un besoin de financement de 45 milliards contre une capacité de financement allemande de 106 milliards.
Regardons un peu les graphiques distribués.
Il retrace l’évolution des besoins et capacité de financement depuis 20 ans.
Depuis 2009 les capacités de financement de l’Allemagne sont tout à fait considérables par rapport à celles de la France. La France est déficitaire de façon générale. Il me semble dans le cas de l’Allemagne que lorsque le processus de réunification s’achève le pays retrouve des capacités de financement importantes.
– Regardons les Comptes financiers.
1er compte = le bilan d’entrée de l’année
2ème compte = les transactions financières
3ème compte = les autres changements dans les actifs. C’est un compte de réévaluation.
Les bilans sont présentés en valeurs de marché et non pas en valeurs historiques.
4ème compte = le bilan d’entrée de l’année
Ce compte est la somme des précédents.
Notons que les statistiques allemandes ne semblent pas très sures. En effet, la 2ème ligne montre pour l’Allemagne un écart statistique de 116 milliards. C’est 1,6 milliards pour la France. Or cet écart statistique allemand est supérieur au solde dégagé par les comptes courants, à la capacité de financement (106 milliards). Il y a donc un vrai problème.
De même, deuxième indice, Eurostat s’abstient dans ses rapports annuels par pays de publier les ratios prenant en compte les éléments de bilan de l’Allemagne. A l’exception du capital. Ce qui pourrait laisser supposer que les autres postes du bilan allemand doivent être maniés avec précaution. Notamment les postes concernant l’endettement.
J’ai donc moi-même reconstitué ces ratios. On aboutit à des résultats un peu étonnants.
Regardez le tableau [Passifs net correspondant au capital employé].
Entre 2000 et 2016, les passifs bruts ont été multipliés par 2,7.
Mais on ne peut pas ne pas relever que les chiffres donnés par l’Allemagne donnent un capital employé inférieur au français pour une valeur ajoutée qui est quant à elle supérieure de 30% à l’équivalent français. Il y a donc un problème de cohérence économique.
Jean-Pierre GÉRARD considère que les capitaux allemands sont mieux investis que les capitaux français. Quant à moi, cela me paraît quand même un peu extraordinaire. Compte tenu du poids du secteur privé et du secteur public dans les deux pays, l’investissement des capitaux français dans des entreprises publiques à faible rentabilité fait baisser la moyenne de la rentabilité globale française des entreprises non-financières, par rapport à l’Allemagne ou le secteur public à un poids moins important. C’est en ce sens que l’on peut dire que les capitaux allemands (investis dans des entreprises publiques et privées) sont in fine mieux investis que les capitaux français.
À la fin de l’examen de ces comptes on aboutit me semble-t-il à quelques conclusions :
1. Ce ne sont pas la pression fiscale, les cotisations sociales qui font la faiblesse de l’appareil productif français. Celles-là étant très comparables dans les deux pays.
2. L’origine des différences France-Allemagne est principalement dans l’insuffisance de la valeur ajoutée. Il manque 130 milliards du côté français, soit 6 points de PIB. Et attention, il faudrait déplacer beaucoup plus si on voulait réduire l’endettement des entreprises françaises.
3. Le montant du coût salarial est semblable à celui de l’Allemagne « ajustée » mais le poids des salaires par rapport à la valeur ajoutée est à peu près de 7 points de différence. Mais, comprimer les salaires à un niveau comparable à l’Allemagne serait probablement insupportable sur le plan social.
Le résultat brut exploitation français est inférieur de 175 milliards au résultat brut de l’Allemagne « ajustée ». Le montant est tel qu’on ne peut pas, à mon avis, le compenser par des mesures fiscales.
La France a en plus du mal à couvrir le simple renouvellement de son capital productif.
Il en résulte un endettement brut très important qui fragilise le secteur productif français et toute l’économie. Une crise financière, une augmentation des taux d’intérêts auraient des conséquences plus importantes en France qu’en Allemagne. De cela découlent des charges de la dette très supérieures en France et qui pèsent sur la rémunération du capital investi en France.
La politique actuelle est une politique de restauration des marges du système productif, notamment des marges des entreprises, notamment par des allègements des cotisations sociales.
On peut alors s’interroger sur le fait de savoir si cela est la hauteur du retard à combler sur l’Allemagne « ajustée ». À mon sens, seul un réajustement par des mécanismes économiques naturels relevant du système des prix pourraient réussir. Cela veut dire un abandon de l’euro et à un retour à des parités qui s’ajustent.
Il était intéressant de faire un retour en arrière et de voir comment les choses se sont passées sur les vingt dernières années.
Regardons les graphiques : il y a 7 pages.
Je me suis limité aux 4 économies les plus importantes de l’UE actuelle : Allemagne, France, Italie, RU.
La Grande-Bretagne est hors de la zone euro, son économie n’est pas très dynamique. Ses courbes sont le plus souvent en bas des 4. Elle n’est pas très significative et mon sentiment est qu’elle a sacrifié son secteur productif à son secteur financier dans ses choix économiques.
On voit bien des évolutions des économies du Sud et de celles du Nord.
Page#1 / 2ème graphique : Annexe 2 : VA brute SNF 4 pays.
La croissance est à peu près parallèle et linéaire pour tous jusque 2007. Alors, la crise marque une baisse plus ou moins prononcée des VA. Mais ce qui est intéressant, cette date marque aussi le départ d’une divergence entre l’Allemagne et les autres pays. Cela se poursuit, s’accélère, alors même que la crise a maintenant 10ans. Rappelons que l’Euro est entré en vigueur vers 2002. Nota : durant la crise, l’Allemagne souffre un peu plus que les autres, en raison notamment de l’importance de son secteur exportation de machines-outils. De même le retour post-crise est plus dynamique.
Le cas de l’Italie est très particulier : vous vous apercevrez que l’Italie ne sort pas de la crise et reste en 2016 à ce qu’ils enregistraient en 2007-2008.
Page#2 / 1er graphique : Annexe 3 : Excédent brut d’exploitation.
Les écarts entre Allemagne et les autres se creusent dès 1995. C’est pour ce pays le début d’une discipline de politique salariale que les autres n’ont pas mis en place.
Quand on regarde les autres pays, on constate qu’il y a un certain écart initial mais les barres s’homogénéisent dans le temps.
Page#2 / 2ème graphique : Annexe 4 : Formation de capital fixe.
Il est très intéressant de regarder l’Italie. Elle chute plus que les autres et n’arrive pas à redresser son investissement. Vous verrez que cela correspond également à des stratégies financières de l’Italie qui se dégage très nettement des graphiques suivants. Cela traduit vraiment ce que peut être la situation économique, sociale et politique du pays aujourd’hui.
Page#3 / 1er graphique : Annexe 5 : Part des profits des SNF
On observe une baisse sur l’ensemble de la période et pour tous les pays.
Est-ce mondial, est-ce une spécificité européenne ?
Italie et Allemagne sont les pays où les taux de profit sont les plus élevés. On ne l’aurait pas pensé.
L’Italie maintient un taux de profit élevé sur une valeur ajoutée pourtant en baisse.
La France a le taux de profit à la fois le plus bas et le plus stable.
Cela s’explique par de l’endettement pour maintenir les investissements.
Il faut souligner ici pour expliquer les choses : l’entrée de la Chine dans le commerce mondial.
Page#3 / 2ème graphique : Annexe 6 : Taux d’investissement SFR.
La France a donc maintenu un taux d’investissements élevés (par endettements).
L’Allemagne a le plus élevé jusqu’en 2000, puis il revient dans le peloton.
L’Italie a un taux élevé jusqu’en 2011, puis il baisse.
Cela car le pays va mener une vraie politique de désendettement des entreprises.
Page#5 / 2ème graphique : Annexe 7 : Rendement brut (RoR) du capitale employé Fr & All.
Cela me paraît invraisemblable.
Page#6 :
On observe une baisse assez nette sur l’ensemble des pays.
L’Italie qui montre un rendement très important en début de période rentre ensuite dans le rang.
On constate une convergence des taux de rendement vers 15%.
Endettement : après une montée jusqu’à la crise de 2007, on observe pour trois pays sur quatre une baisse de l’endettement, sauf la France. L’Italie sera la dernière à enregistrer une baisse de son endettement. La France continue à s’endetter, et après la crise sur la même pente. Cela fragilise les entreprises en cas d’augmentation des taux d’intérêts.
Annexe 8 : Rapport de la dette au revenu :
Italie (à compter de 2012) et dans une moindre mesure le RU (à compter de 2009) ont choisi de consacrer leurs revenus à un très fort désendettement. Pour l’Italie cela s’est fait par un arbitrage au détriment de l’investissement.
Annexe 9 : Rendement du capital financier :
L’Allemagne maintient son très haut niveau. Il est à plus de 50%, ce qui me parait un peu étonnant.
Notez que c’est là le seul indicateur calculé par Eurostat.
Pour tous les autres, on constate à la fois une baisse et une convergence autour de 15%.
Conclusion générale :
Il y a une baisse des appareils productifs européens.
Il y a une divergence entre Europe du Nord et du Sud.
La France, jusqu’en 2016, fait cavalier seul en privilégiant investissements au prix de l’endettement.
Ces divergences de stratégies augurent mal de l’avenir de la zone Euro.
Attention, ce qui n’apparait pas ici et qui pourtant est capital est la notion de taux de change.
Incontestablement l’Allemagne bénéficie, en raison de ses structures économiques, d’une sous-évaluation de l’Euro. Elle le doit aussi, indirectement, au poids des économies les moins performantes de la zone euro.
[JP. GÉRARD]
Les entreprises nationales sont incluses dans cette analyse. Je pense qu’elles pèsent par leur faible rentabilité sur l’utilisation du capital. Elles investissent beaucoup avec une faible efficacité.
Les entreprises françaises, dans leur ensemble, ont une rentabilité insuffisante.
Elles ont un excédent brut d’exploitation (EBE) rapportée aux capitaux investis qui est trop faible.
Or cet EBE doit assurer 5 fonctions :
• les amortissements
• les impôts
• la participation et l’intéressement
• le coût des échecs
• les intérêts des emprunts
• et in fine les dividendes aux actionnaires.
Si l’EBE est à 18 % des capitaux investis comme il est en Allemagne, cette rentabilité moyenne est suffisante pour assurer toutes ces fonctions. En revanche comme elle est beaucoup plus basse en France (de l’ordre de 5 à 10% et des taux d’intérêt de 5%), il est nécessaire pour assurer une rémunération suffisante des capitaux propres, de s’endetter. Effectivement le taux des emprunts sans risque, est toujours plus bas. L’effet de levier consiste dans le fait de rémunérer une partie des capitaux nécessaires à l’exploitation, un niveau plus bas (aujourd’hui les taux d’intérêt tournent autour d’un à 2 %). Les capitaux propres, auront donc une rentabilité financière plus forte.
La faible rentabilité des entreprises françaises oblige pratiquement toutes les entreprises du secteur marchand à s’endetter beaucoup plus.
Le niveau d’investissement est en France proportionnellement très élevé. J’y vois 2 raisons :
• La recherche d’une productivité beaucoup plus élevée, pour doper l’EBE et pour pouvoir soutenir la concurrence internationale.
• La limitation volontaire de l’emploi dans les entreprises en raison d’une législation trop contraignante et dissuasive. Se tromper sur l’embauche d’une personne peut être dramatique, faire une erreur d’investissement ne coûte que l’investissement.
En outre les entreprises du secteur public, (SNCF avec le TGV, EDF avec les éoliennes etc.) n’ont jamais eu, et ce ni en France ni en Allemagne, des rentabilités très grandes de leurs investissements, en raison souvent des pressions politiques justifiées ou non. (Deutsche Bahn, politique énergétique, poids de l’écologie etc.).
Il y a un problème fondamental du choix d’investissements des entreprises publiques en France.
Le poids des entreprises publiques en Allemagne est plus faible qu’en France.
Ensuite certains pourront débattre à loisir sur :
« Mauvais investissements par de bonnes entreprises » ou
« Mauvais investissements par de mauvaises entreprises »
[M. KERBER]
L’introduction de l’euro a créé un écart de compétitivité entre les pays du Sud et les pays du Nord.
Et la Zone euro interdit des ajustements en souplesse. Il faudrait alors un système de transfert extraordinaire.
Votre approche est certes remarquable, mais, me semble-t-il, vous comparez des agrégats composés d’éléments tout à fait différents. Vous avez parlé des entreprises nationales en France, dont je renonce à qualifier l’efficacité. Le secteur national est beaucoup plus faible en Allemagne. En revanche nous avons, et partout dans le moindre village, un patrimoine de très petite entreprises familiales. Ces entreprises ont des politiques de distributions très différentes. Les salaires des dirigeants sont très raisonnables. Ils considèrent leurs entreprises comme leur patrimoine personnel et réinvestissent leurs résultats. Les salariés sont bien traités et on y défend l’emploi. Par ailleurs l’Allemagne est traditionnellement très décentralisée.
La question qui va se poser aujourd’hui :
• Soit on démantèle l’euro, et on donne de la souplesse au pays pour ajuster leur compétitivité,
• Soit on crée un mécanisme puissant de transfert.
Ce que le Président MACRON ne cesse de prêcher c’est « l’approfondissement de l’Europe ».
C’est-à-dire la densification d’un système de transfert qui est d’ores et déjà immense :
• Vous avez un fond de stabilité de l’UE de 80 milliards.
• Vous avez la facilité financière de 700 milliards.
• Vous avez le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) de 500 milliards.
En France, apparemment et à la différence de l’Allemagne, on approuve ces systèmes et il n’y a pas de résistances. En Allemagne, on combat de façon juridique, c’est mon cas. On combat dans la rue, dans les journaux cette tendance à la mutualisation qu’on voit avancer en Europe. Les Allemands ne sont pas prêts à payer pour ces écarts de productivité.
Aujourd’hui plus personne ne contrôle rien.
Le MES, au Luxembourg, est formellement géré par une personne qui a un passeport allemand mais il ne cesse de proposer d’autres instruments, d’assurance et de sauvetage des banques. Dès maintenant, le risques sur les banques chypriotes, grecques, italiennes sont immenses. Il y a 400 milliards de créances pour la seule Italie. Ni l’Italie, ni l’Europe ne peut le financer.
Il y a un réveil en Allemagne. Pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les pose la question de la pertinence de l’intégration européenne. Les Allemands se sentent « roulés dans la farine ». On leur avait promis une zone Euro avec une banque centrale qui agirait comme la Bundesbank. Mais en réalité elle a évolué très différemment. Et les Allemands n’y ont qu’une voix, autant que Malte ou Luxembourg. Il y a 150 systèmes de sauvetage et de transferts que je ne redis pas.
Il y a une tendance inflationniste de créer encore plus de systèmes de transferts.
Ils sont majoritairement payés par les grands pays.
Mais à partir du moment où un grand pays comme l’Italie ne fonctionne plus, tous ces mécanismes s’écroulent. Les fonds actuels ne suffiront pas à sauver l’Italie. La politique de M. DRAGHI de « argent facile », « taux faibles » ou « quantitative easing » sont prévus pour faire face à des risques de déflation alors même que nous avons une inflation de 2,3% en Allemagne. Personne en Allemagne ne croit plus à cette BCE.
Les politiques s’entêtent et disent qu’il faut aller encore plus loin dans la mutualisation des risques.
Réveils en Allemagne : Il n’a pas encore pris les traits d’un parti politique. Il manque un grand rassembleur.
Mais la contestation devant les tribunaux est incomparablement supérieure à ce qu’on observe en France.
Je lutte devant notre cour de justice fédérale contre le traité de Lisbonne, contre l’aide à la Grèce, contre FES, MES, « quantitative easing », contre l’union bancaire…
L’union bancaire, en particulier, et qui est demandée par Paris, comporte des risques incomparables avec ce que nous avons connu. Parlons un instant de la Grèce, en apparence il y a une solution.
Mais le remboursement des dettes a été reporté à 2032 !!!
Une chose est sure pour nous : la Grèce ne remboursera JAMAIS ses dettes.
Le ressentiment contre la Grèce en particulier est énorme : « nous payons pour des fraudeurs ». La création de l’AFD en Allemagne est très directement liée au cas grec. Le pays est totalement responsable, il a triché !
Bruxelles a inventé un système « acadabrantesque » et maintenant les mêmes font face au dilemme du prisonnier : ils ne peuvent plus dire que ça ne marche pas. S’ils le reconnaissaient, ils devraient démissionner dans l’instant. Mais il y aura des conséquences politiques radicales. Pour l’instant le bouc émissaire est tout désigné : c’est l’Allemagne !
Il y a dans l’histoire un exemple de ce dilemme du prisonnier, il a couté la vie à des millions de gens.
En juillet 1944, l’Allemagne est militairement battue. Mais ce fou de Hitler ne voulait pas, ne pouvait pas démissionner… Pour ne parler que des seuls Allemands, il y a eu autant de morts entre 1939 et juillet 1944 qu’entre juillet 44 et mai 45.
Je m’interroge : pourquoi n’y a-t-il pas en France une révolte contre le « Main Stream » des médias.
Je pense qu’il faut réfléchir à un « démantèlement paisible » de l’euro. En disant « c’était une noble idée… mais ça ne marche pas. Arrêtons, gentiment et de façon concertée avant qu’il n’y ait une catastrophe sociale ».
[J. HERNANDEZ]
Attention, je n’ai pas défendu le maintien dans l’euro. Je voudrais souligner une chose : effectivement, le système ne peut qu’exploser. Quand on impose une parité fixe entre deux économies qui sont de productivité différente vous avez inévitablement un déficit structurel. Toutes choses égales par ailleurs celui-ci augmentera. Plus on attend, plus on se dirige vers une situation absolument explosive.
Le taux de change ne reflète pas seulement les différences économiques, il reflète également des différences culturelles. Et il y a deux choses à considérer dans les différences de productivité :
• Il y a les différences de productivités matérielles.
Celles-ci sont peu différentes entre France et Allemagne
• Il y a aussi les différentes façons dont les prix sont faits.
Je ne parle pas des prix italiens ou grecs.
La négociation des salaires en France et en Allemagne est très différente.
Dans la culture française, les patrons étaient habitués à se dire qu’ils pouvaient augmenter les salaires et qu’ils se récupèreraient par l’inflation dans un système souple. Ceci est inenvisageable en Allemagne..
[CA. PAILLARD]
J’aimerais dire un mot d’un pays qui n’est pas sur les graphiques, que je connais et que j’aime beaucoup : l’Espagne. Le modèle économique espagnol est à mi-chemin entre celui de la France et celui de l’Allemagne.C’est un pays décentralisé avec des entreprises familiales. Le textile est un bon exemple (Mango, Zara…)
Ce qui a été dit ce matin est très important et résonne singulièrement pour moi. En effet, en Espagne, l’explosion est déjà survenue. On a toujours des clichés forts et faux sur ce pays (corrida, paëlla…). On a aussi parlé beaucoup du problème de la bulle immobilière, qui fut pourtant une exception dans le paysage économique.
Pour l’Espagne, l’adoption de l’euro ce sont plusieurs choses : pour la première fois une monnaie stable, des taux d’intérêt fixes, ce que le pays n’avait jamais connu. Mais les banques alors ont vendu des taux variables et les espagnols se sont retrouvés surendettés.
Qu’elle était la situation il y a 4 ans ?
Mariano JAJOY, s’il a été chassé du gouvernement, avait pourtant rétabli les comptes. La situation restait difficile. L’Espagne avait 25% de chômeurs. Un déficit commercial, un déficit de la balance des paiements considérables. Les entreprises espagnoles, familiales, n’étant pas suffisamment capitalisées pour résister au choc de l’euro !
D’un point de vue touristique l’euro fut favorable à l’Espagne, mais l’ensemble du secteur productif en a pris « plein la figure », quant à lui. Les entreprises espagnoles ont donc délocalisé pour la première fois de leur histoire pour pouvoir survivre. Les délocalisations ont commencé vers le Portugal, ce fut ensuite l’Amérique latine, et il y a aussi maintenant des transferts vers l’Asie. Les groupes espagnols ont donc fait un ÉNORME effort d’investissement et de productivité, en comparaison avec ce qui était fait dans le même temps en Italie, par exemple.
Aujourd’hui, l’Espagne est au bord de l’explosion.
Les transferts internes à l’Espagne ont une conséquence emblématique : la crise catalane, qui menace l’unité même du pays. Le parti socialiste n’a aucune marge de manœuvre, ni politiquement au parlement, ni économiquement. De vieux fantasmes réapparaissent. On ressort le cadavre de Franco…
Les espagnols recommencent à se battre les uns contre les autres. L’absence de marges économiques, le stress sur les entreprises, le poids lourd du chômage et autres, font que l’Espagne est au bord du chaos.
On n’y prête pas assez attention, ni en France, ni en Allemagne, mais c’est là une répétition générale. L’explosion est déjà à l’œuvre dans la péninsule ibérique.
[M. KERBER]
Comment voyez-vous la possibilité de créer un dialogue entre économistes allemands et français de notre tendance pour qu’ils se rassemblent. Du côté des élites, on se rassemble sur « plus d’Europe ». Ils rêvent même d’une grande assurance européenne des dépôts.
Chez nous, il y a M. ZIEN qui a écrit un livre intitulé « le piège de l’euro », avec son système d’objectifs et de crédits illimités à des pays qui achètent chez nous. Votre demande, pardonnez-moi de vous le dire, est foncièrement libérale : vous essayez de libérer la monnaie du carcan de l’union monétaire, avec des taux fixes et irréversiblement fixés au départ. Il faut être complètement fou pour consentir à une telle entreprise avec des pays aussi peu scrupuleux que la Grèce, la Hollande.
J’ai tenu ce discours devant des jeunes étudiants. Mais ils n’ont connu que l’euro.
[J. HERNANDEZ]
Je pense en effet qu’il faudrait un rapprochement car je pense que les gens ne comprennent pas de quoi il s’agit. Notons qu’a priori l’opinion publique est très favorable à l’euro car elle voit la facilité de voyage associée.
Un rapprochement pour être efficace devrait s’attacher à traduire ce qui se passe en langage simple.
Il faudrait également trouver un moyen pour sortir de l’euro avec un minimum de douleur. Car ne nous faisons pas d’illusion, une sortie de l’euro serait un choc tout à fait considérable, économique et politique. Cela implique un inventaire et un rééchelonnement des dettes.
[F. GRASSET]
Sur la politique de « transfert » : le mot transfert est neutre.
Ce qu’on essaye d’organiser est un système de sociale démocratie dont l’Allemagne serait le banquier.
Cette culture sociale démocratie a été la culture fondatrice de l’ensemble européen après la seconde guerre mondiale. Mais pour les Français, ce mot « transfert » est formidable. Derrière la notion « d’égalité » chère à nos concitoyens, il y a le mot « transfert ». Cela veut dire que les « riches » payent.
Nous sommes donc face à une situation économique dont les fondamentaux sont aveuglants et où la culture politique dominante n’a pas encore été confrontée à un échec suffisant et profond pour qu’elle n’en arrive à se remettre en cause elle-même.
Au sujet de ce qu’on appelle les « petits pays », expression très humiliante, la Grèce et autres… Ils font défaut. La question est alors faut-il vraiment « se battre » pour eux ? Ils nous entraînent vers un abime où nous ne voulons pas aller. Mais là ce n’est « rien ». Quand il s’agira de traiter les 3 grandes économies du Sud, France un peu, Espagne, Italie, ce ne sera pas un « petit » problème. Ce sera la minute de vérité. La zone euro éclatera et il y aura une explosion gigantesque du concept de « transfert ».
[JL. TARI]
Une zone unifiée par une monnaie unique doit faciliter les échanges de moyens de production. Nous avons beaucoup parlé du capital. Les pays riches de la zone financent les investissements des pays plus modestes. Mais nous n’avons pas encore parlé du facteur travail. Les pays avec les plus forts taux de chômage doivent alimenter les pays qui ont besoin de main d’œuvre. L’Allemagne, en 2015, fait appel à un flux extra-européen et par là trahit la préférence communautaire.
[M. KERBER]
Nous, les Allemands, avons le monopole de la culpabilité et pour tout.
Mais je n’accepte ni la forme ni le fond de votre propos.
En 2015, la situation est exceptionnelle avec la guerre civile en Syrie. Il y a une vague d’immigration sans précédent. La France n’a pas voulu en accepter. Je dénonce la politique de notre chancelière certes, mais dire que « l’Allemagne a poignardé l’Europe », selon vos propres termes, est à la fois choquant et un non-sens économique. Un travailleur grec du Pirée n’est pas prêt à aller à Hambourg. La mobilité du travail n’existe pas en Europe, comme cela existe aux États-Unis.
[JP. GÉRARD]
Quelques remarques avant de passer au sujet suivant :
• Nous n’avons pas fait mention des structures des économies. Or celles-ci réagissent différemment aux évolutions monétaires. Autrement dit, l’objet de l’Europe n’est pas de créer une France allemande, une Allemagne française, mais de faire deux pays complémentaires. Ceci n’est possible, et on le trouvait déjà dans les mémoires d’espoir du Général de Gaulle, qu’avec un tarif extérieur commun.
• Nous n’avons pas fait mention non plus du poids de l’économie financière. Depuis une vingtaine d’années celle-ci a cru d’une manière absolument fantastique. À tel point qu’aujourd’hui la part de l’économie financière est de 10 à 20 fois ce qui est nécessaire pour financer l’économie réelle.
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