EDF et ses ingénieurs économistes... ou la querelle des anciens et des modernes.

ENERGIE

Jean-Claude Werrebrouck

5/29/20255 min read

Les débats continuent sur le cout de l'électricité et la justification du remplacement de nucléaire EDF par l'éolien ou le solaire. De ce point de vue il est utile de retrouver les raisonnements qui furent à l'origine de l'entreprise et de les comparer avec ceux d' aujourd'hui lesquels ont transformé fondamentalement l'entreprise EDF

Quand on dit aujourd'hui qu'il faut laisser la priorité de circulation sur le réseau électrique à l'énergie la moins chère, on peut se justifier en annonçant que le supplément de production, par exemple de l'éolien ne coute rien ( il est l'effet d'un don d'une nature plus venteuse à tel ou tel moment) et qu'à ce titre il doit se substituer à un cout du KWH nucléaire plus cher. Clairement, à consommation constante, il faut optimiser et si le cout de la dernière unité produite (ce qu'on appelle cout marginal) est inférieur -par utilisation de l'éolien disponible- au cout de la dernière unité produite par le nucléaire, alors il faut qu'EDF réduise sa production nucléaire et laisse la place à un éolien rendu disponible par davantage de vent. C'est ce qu'on appelle la règle de la priorité du non renouvelable. Ce serait donc cette notion de cout marginal qui devrait dicter les stratégies d'optimisation des infrastructures électriques.

Quand on connait l'histoire d'EDF depuis sa naissance, on se dit qu'au fond rien n'a changé. Les ingénieurs économistes directement ou indirectement impliqués dans l'entreprise depuis 1946 - Les élève du prix Nobel Maurice Allais , dont bien sûr le grand PDG Marcel Boiteux, et tous les autres qui ont succédé et en particulier Christian Stoffaes qui vient de nous quitter- n'ont fait que laisser les clefs du management aux plus jeunes. Il n'en est rien et la règle de la priorité sur la base du cout marginal n'a rien à voir avec celle existant à l'époque où Marcel Boiteux dirigeait l'entreprise. (1967-1987).

Quand dans les années 50/60 les ingénieurs économistes parlent de service public efficients - un terme qui deviendra chez Stoffaes le concept d'utilité publique - Ils s'intéressent à une tarification de l'électricité qui serait proche du cout marginal. Du point de vue de l'efficience le cout marginal est un indicateur incomparable et le consommateur d'électricité doit en payer le vrai cout à peine d'inefficience contaminant l'ensemble du système productif. En effet, si le tarif (devenu aujourd'hui prix de marché) est supérieur au cout marginal, les allocations du capital et du revenu sont dirigés vers des ajustements non optimaux: on pourrait disposer de combinaisons plus efficientes si le tarif était plus faible. A l'inverse si le tarif est plus faible que le cout marginal on se dirige là aussi vers des allocations non optimales et la société gaspille de l'énergie. Faire rencontrer le service public fort et la compétitivité , surtout pour ce secteur très en amont de l'économie, c'est imaginer une politique tarifaire respectant le cout marginal comme indicateur prioritaire de gestion. Mieux la politique de l'entreprise se doit d'orienter l'économie en tentant en permanence de travailler en couts marginaux les plus faibles, et si possible faire payer pour chaque niveau de puissance appelée le cout marginal correspondant. Compte tenu que l'entreprise EDF dispose de nombreuse et diverses unités de production il convient pour son dirigeant de classer les dites unités dans l'ordre des couts croissants et de mettre en activité d'abord les unités les plus efficaces pour n'engager les plus couteuses qu'avec la développement de l'appel de puissance par le marché. C'est ce management stratégique qui devait faire naitre des tarifs différenciés en fonction des couts margianux constatés.

Profitons en pour réaliser que cette politique de tarifs différenciés n'a rien à voir avec ce qu'on appelle aujourd'hui la "tarification dynamique" que l'on trouve notamment dans l'industrie du transport et qui a tendance à essaimer. Ce dernier type de tarification ne cherche pas une optimisation économique et industrielle globale (utilité publique) mais à capter et privatiser le maximum de valeur sur un marché. Ce qui est ici recherché c'est la captation maximale d'une capacité à payer. On est donc très loin des préoccupations des ingénieurs économistes de ce qui était l'EDF lors de sa montée en puissance. Et bien évidemment jamais EDF n'a utilisé son monopole pour se constituer une rente de marché alors même que les appels de puissance connaissaient une rapide croissance.

Si l'on en revient au cout marginal tel qu'il est mis en avant aujourd'hui chez les énergéticiens on s'aperçoit qu'on est très éloigné d'une quelconque utilité publique. Accepter et valider aujourd'hui le principe de priorité au nom de ce bon indicateur que serait le cout marginal relève d'une tromperie et la substitution du nucléaire par l'éolien ne provient pas d'un principe d'efficience puisqu'il ne permet pas d'ajuster les infrastrutures énergétiques globales en fonction des besoins.

Dans le cas du vieil EDF les infrastructures sont limitées par les appels de puissance avec sans doute une certaine marge pour des raisons de sécurité. Si l'économie grandit il faut plus d'unités de production mais en même temps le signal tarif reste à tout moment efficient. l'infrastructure globale répond toujours en respectant le mieux possible le cout marginal comme indicateur efficient de tarif.

Dans le cas de l'EDF nouveau la taille de l'infrastructure se doit d'être très excédentaire puisque l'énergie renouvelable reste intermittente et donc non fiable au regard des besoins de la société. Et plus la taille du renouvelable augmente et plus la priorité doit se faire implacable en utilisant l'énergie classique comme un double indispensable. Plus on mettra en avant l'idée de cout marginal nul ou proche de zéro comme marche vers la décarbonation, et plus on consommera du capital que l'on pourrait utiliser ailleurs. la vieille notion de cout marginal n'est plus un indicateur et l'on se dirige ici vers des rendements décroissants.

Philosophes et historiens s'amusent à nous expliquer que la liberté des modernes n'a plus rien à voir avec celles des anciens en particulier celle de nos ancêtres athéniens. On pourrait dire la même chose du management stratégique des anciens dirigeants d'EDF et de celui des dirigeants d'aujourd'hui. l'EDF des anciens n'a rien à voir avec l'EDF d'aujourd'hui et les dirigeants actuels ne se rendent peut-être pas compte que renationalisée à 100%, l'EDF des moderne n'a plus la possibilité ni même l'autorisation de produire de l'utilité publique. Certes on peut dire que désormais EDF doit obéir au marché mais l'entreprise dite moderne ira plus loin en s'infligeant la punition de créer un EDF rennouvelable...sans doute au nom de la modernité...Créer une filiale dont l'efficience passe par sa contribution à l'effacement d'une partie de la production nucléaire, et donc participer à la diminution du facteur de charge des centrales françaises déjà classées au dernier rang mondial (60% soit le taux le plus faible du monde) est une faute de stratégie managériale. Aujourd'hui l'infrastructure électrique globale est en surcapacité et les choses s'aggravent avec le branchement de nouveaux acteurs aussi bien dans le renouvelable que dans ce qui ne l'est pas, pensons à Gardanne par exemple. Cette surcapacité est payée par le nucléaire historique sous la forme d'un effondrement de son facteur de charge (passage de 80% dans les années 90 à 60% aujourd'hui). Les athéniens de l'époque de Périclès connaissaient leur aliénation et savaint que leur liberté était contenue par celle des dieux qui tiraient les ficelles. Les économistes de l'actuelle EDF ne savent pas que les règles d'aujourd'hui qu'ils se doivent de respecter sont la nouvelle forme de l'aliénation. Ce ne sont plus les dieux qui tirent les ficelles mais l'idéologie massivement diffusée y compris dans les écoles d'ingénieurs.