Faillite de Peugeot

Par Henri Conze, le 12 novembre 2013.

SCÉNARIOS

7/7/20246 min read

Origines :

- en novembre 2013, PSA recherche une augmentation de son capital d’un montant de 3 G €. PSA négocie avec l’Etat (1,5 G € en échange de 25 % du capital) et le chinois Dong Feng (mêmes chiffres).

- en décembre et janvier, l’ensemble des agences de notation dégrade la note de la France à l’instar de S&P; début novembre. Si cela n’a pas, dans l’immédiat, de conséquences significatives sur le financement de la dette de l’Etat, par contre les sociétés françaises doivent faire face à un accroissement des taux d’intérêt de leurs emprunts, particulièrement PSA, conduisant le groupe à revoir à la hausse ses besoins de recapitalisation.

La crise :

- le 3 mars, PSA annonce le rappel de 600.000 véhicules à la suite de la découverte de défauts dans la production des moteurs du site de Douvrin partagé avec Renault. Le président de PSA informe confidentiellement le gouvernement que sans apport financier significatif et immédiat, PSA devra déposer son bilan à la fin du mois. Même si PSA trouve entre temps un repreneur pour Faurécia, avec les conséquences à terme sur l’emploi dans cette filiale, Varin estime que cela sera insuffisant.

- le 4 mars, les analystes financiers internationaux estiment à un minimum de 6 G € le besoin de financement de PSA.

La presse du matin annonce en gros titres la menace de faillite du groupe.

A 11H, Arnaud Montebourg demande la nationalisation de PSA.

A 11H30, le Premier Ministre annonce qu’il est en relation avec PSA et Dong Feng pour trouver les bases d’un accord de recapitalisation.

A 12H (sans concertation !), Jean-Luc Mélanchon et Marine Le Pen s’opposent devant la presse à la menace d’une prise de contrôle de PSA par les Chinois et exigent une nationalisation de Peugeot. L’un et l’autre appellent à des manifestations à Paris, place de la Bastille, et dans les villes proches des sites PSA le samedi 8 mars.

A 15H, les syndicats de PSA se réunissent, décident de s’opposer à une entrée significative de Dong Feng dans le capital de PSA et appellent à manifester le 8 mars place de la République.

A 18H, le Président F. Hollande convoque une réunion à l’Elysée.

- Le 5 mars, à l’issue du Conseil des Ministres, J. M. Ayrault annonce que le gouvernement vient de décider de rechercher une solution purement nationale et a demandé à la Caisse des Dépôt de constituer un pool bancaire chargé de réunir un prêt de 6 G € au profit de PSA, prêt dont l’Etat sera caution.

- le 6 mars, la presse relève une indiscrétion de la Commission de Bruxelles selon laquelle la décision de Paris ne pouvait qu’être « retoquée » et que seule une nationalisation de PSA pouvait être éventuellement envisagée.

- le 7 mars, une dépêche de Pékin signale une plainte de la justice chinoise à l’encontre de PSA pour « pot de vin ». L’action PSA plonge de près de 20% une heure avant la fermeture de la bourse de Paris, les investisseurs estimant que Pékin a décidé d’entamer un bras de fer avec Paris à la suite de la décision prise de ne pas faire appel à Dong Feng.

- le 8, une manifestation rassemble dans le calme place de la République plus de 150.000 personnes dont une majorité n’appartenant pas aux deux extrêmes de l’échiquier politique : personnels de PSA (en particulier tout le centre de Villacoublay), les concessionnaires et garagistes, délégations des municipalités concernées par les sites PSA, etc. Un collectif de défense de Peugeot est constitué dans l’après-midi regroupant des cadres du groupe, les syndicats, des responsables de sociétés sous-traitantes, etc., demandant une action urgente de la part du gouvernement et appelant à une nouvelle manifestation le samedi 15 mars.

- le 10, la plupart des experts économiques estiment et publient dans la presse du matin, qu’étant donné la menace sur les activités de PSA en Chine c’est désormais un montant de 10 G € qu’il faut injecter d’urgence dans le groupe.

A midi, un communiqué de l’Elysée annonce que, sous l’égide de la Caisse des Dépôts, un pool bancaire français vient d’accorder à PSA un prêt de 10 G € garanti par l’Etat.

A 14H, le collectif de défense de Peugeot annonce suspendre la manifestation du 15 mars.

A 18H, le commissaire européen en charge de la concurrence déclare que la décision de Paris est prématurée et qu’une plainte vient d’être déposée auprès de Bruxelles par deux groupes automobiles pour aide illicite de la part de l’Etat français. Le commissaire demande à Paris de surseoir à sa décision en attendant le résultat de l’enquête qui va être lancée et dont les résultats devront être rendus dans un mois. Le commissaire ajoute que la réponse de Bruxelles sera très probablement négative (la Commission avait déjà accepté en 2012, non sans réticences, la garantie de l’Etat pour un prêt au profit de la banque Peugeot). Il suggère que la seule solution acceptable serait la nationalisation de Peugeot (à l’instar de celle de GM en 2008 aux Etas-Unis).

A 18H30, Pierre Peugeot annonce que les actionnaires de la famille s’opposeraient à une privatisation de PSA.

A 19H, Madame Merkel et le Président F. Hollande conviennent d’un RDV à Berlin le lendemain matin.

- le 11 au matin, Madame Merkel fait part au Président français de l’opposition de la majorité CDU-CSU-SPD à toute ingérence financière de l’Etat français dans la crise PSA, sauf engagement officiel préalable de Paris sur un certain nombre de réformes (chômage, retraites, dépenses publiques). Dans ce cas, elle s’engage à ce que Daimler et BMW retirent leur plainte.

A 10H, Daimler et BMW, auteurs de la plainte auprès de la Commission, tiennent une conférence de presse évoquant les mêmes conditions.

A 12H, au moment où le Président Hollande atterrit à Villacoulay, le Président Baroso donne une conférence de presse confirmant la position prise la veille par le commissaire en charge, et reprenant à peu près les mêmes conditions que celles mises confidentiellement par la chancelière allemande.

A 12H30, le collectif de défense de Peugeot annonce qu’il se transforme en collectif de défense de l’industrie et appelle à manifester de Denfert au Champ de Mars le samedi 15 mars

Le temps des décisions

Le 11 mars à 14H30, le Président F. Hollande préside une réunion interministérielle restreinte à l’Elysée à laquelle il a demandé à quelques personnalités politiques (les présidents de l’Assemblée et du Sénat, Martine Aubry, Lionel Jospin, etc.) de participer. Une heure avant, il a joint par téléphone A. Juppé, F. Fillon et JP Raffarin.

Un consensus se dégage sur un certain nombre de points :

- il faut absolument éviter un dérapage lors de la manifestation de samedi prochain qui pourrait s’imposer comme le rejet de l’Etat par une majorité de l’opinion publique,

- il faut une décision très forte afin d’apaiser le débat ou le focaliser sur d’autres thèmes,

- le débat, la préoccupation majeure de l’opinion est désormais l’Europe et le rejet de Bruxelles, voire de l’Allemagne,

- une dissolution de l’Assemblée Nationale ne peut plus être une issue, un échappatoire : l’opposition est incapable de s’organiser et de prendre le relais ; la campagne électorale se focaliserait instantanément sur le thème de l’Europe, thème divisant chacun des partis de gouvernement ; les extrêmes, les seuls à prôner depuis des années une sortie de l’euro, voire de l’Europe, seraient les gagnants des élections, ou les arbitres de tout futur gouvernement ; une « grande coalition » n’est probablement pas envisageable, étant donné le rejet des partis de gouvernement par la majorité de l’opinion,

- il en est de même d’une démission du Président de la République et de nouvelles élections présidentielles : elles présentent les mêmes inconvénients. Par ailleurs, cette carte est à garder en cas d’aggravation de la situation extérieure,

- une sortie de la zone « euro » est-elle envisageable ? Elle peut, certes, frapper l’opinion, mais sur le fond elle ne résoudrait en rien, ou de façon trop marginale, le problème Peugeot qui est bien plus une question d’ordre communautaire que d’ordre monétaire. En outre, le risque serait grand de rajouter un nouveau désordre d’ordre monétaire au désordre actuel d’ordre social.

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Toutes les possibilités ou scénarios de sortie de la crise semblent avoir été passés en revue et rejetés. Un dernier tour de table n’apporte aucune idée nouvelle. Le Président se lève, tout le monde se lève dans une atmosphère qui ressemble fort à celle qui devait présider aux adieux de Fontainebleau. A ce moment, un huissier entre et donne un message au Président :

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous suggérer le libellé d’un référendum à soumettre au peuple français :

Le peuple français donne tous pouvoirs au Président de la République pour entreprendre avec les gouvernements de l’Union Européenne des négociations portant sur les conditions de la participation future de la France aux institutions européennes. Un éventuel accord sera soumis pour approbation, par référendum, au peuple français. En attendant l’issue de ces négociations, le Président de la République est autorisé à décider tout moratoire portant sur la participation de la France au fonctionnement de l’Union Européenne.

Jacques Delord


La séance reprit et l’unanimité se fit sans difficulté en faveur d’une solution qui, peut-être, était provisoire, mais avait le mérite de devoir, probablement, calmer les esprits pendant quelques mois. Ce que personne ne dit, mais tous le pensèrent, elle avait aussi le grand mérite de sauvegarder maroquins, positions officielles et mandats électoraux....