La politique énergétique : un fiasco annoncé

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ENERGIE

Par Henry CONZE

7/7/20248 min read

Avec l’énergie se joue en grande partie l’avenir de la planète et de son économie. C’est pourquoi un nombre considérable d’experts, de groupes de travail, d’organismes, etc., se penchent sur la question. C’est le cas de la Fondation pour la Connaissance des Énergies (FCE) qui m’avait demandé il y a quelques temps d’apporter une contribution à l’ouvrage « Perspectives Energies 2050 » qu’elle vient de publier.

Je considère que depuis une vingtaine d’années tout se passe dans ce domaine comme si la politique française et la politique européenne avaient obéi à des pulsions idéologiques, ignorant les questions industrielles et de coût, sans souci des réalités de la nature et des contraintes dictées par les lois de la physique. Cela a conduit à des décisions financièrement exorbitantes et aux résultats à l’opposé de ce qui était annoncé ! Citons un récent rapport de la Cour des Comptes : « les 121 milliards d’euros engagés par l’État avant 2017 dans les énergies renouvelables intermittentes (iENR) n’ont servi à rien, malgré les annonces, au plan de la lutte contre le réchauffement climatique, mais ont financé le début de la réduction de la part nucléaire dans le mix énergétique ». Étant donné l’extrême complexité du problème et la multitude de questions qu’il soulève, autant d’arbres cachant la forêt, il aurait fallu aux décideurs une compétence qu’ils n’ont malheureusement pas. Nous sommes, mais on ne le sait pas encore, face à ce que nos petits-enfants considèreront probablement comme un gigantesque scandale !

Quelques réalités trop méconnues.
Quiconque a une responsabilité, aussi minime soit-elle, en matière d’énergie, en tout cas d’énergie électrique qui pour beaucoup de raisons, dont le réchauffement climatique, a vocation à devenir l’énergie de demain, ne devrait aborder la question sans comprendre, sans accepter, trois réalités incontournables :

– Dans tout réseau électrique, la production et la consommation doivent s’équilibrer, la réactivité du système face à des fluctuations rapides de consommation ou de puissance disponible étant de l’ordre de la seconde afin d’éviter une panne majeure. Or, les réacteurs nucléaires actuels ont un temps de réaction trop long et le vent et le soleil ne sont que partiellement disponibles. L’équilibre du réseau exige donc qu’une part de la production d’électricité provienne de sources instantanément disponibles : barrages, centrales thermiques ou éventuel stockage d’électricité ; cette part est d’autant plus importante que la production des iENR est importante, leur caractère aléatoire participant en effet fortement aux fluctuations de la production dans le réseau.

– Contrairement à ce que presque tout le monde croit, nous ne savons toujours pas stocker massivement l’électricité dans des conditions de poids/cout qui ne soient pas rédhibitoires pour la plupart des usages¹. Ce qui serait nécessaire pour une utilisation très significative des iENR dépasse d’un facteur mille ce qui est actuellement disponible. Des progrès ont été faits, par exemple en ce qui concerne les batteries et surtout leur cout, mais il faudrait une percée technologique majeure que l’on ne perçoit toujours pas pour répondre raisonnablement aux besoins, par exemple un gain d’un facteur dix en masse pour les applications au transport électrique.

– Les conditions climatiques veulent qu’à l’échelle de la France seulement 25% de la puissance installée en éolien et 15% en solaire soient utilisables, le complément à 100% ne pouvant venir, en l’absence de stockage, que des énergies hydrauliques et thermiques. Même à l’échelle de l’Europe, si on mettait en commun les ressources intermittentes, seul un tiers de la puissance installée en éolien serait utilisable, mais à condition de multiplier par vingt les lignes à haute tension transfrontalières ce qui serait assurément rejeté par les populations concernées !

Un fiasco.
Pour ne pas avoir tenu compte de ces réalités, la politique française ne peut aboutir qu’à un fiasco ! La décision prise en 1973 de développer le parc électronucléaire actuel nous avait permis d’avoir une électricité parmi les moins chères d’Europe et une compétence industrielle reconnue dans le monde. Depuis, les subventions accordées aux énergies nouvelles, les difficultés de leur introduction dans les réseaux, les pertes induites, les incitations fiscales, l’effort insuffisant en R&D, les erreurs de programmes, de politique industrielle, etc., ont rendu caduques nos atouts. Le tout a couté et coute cher : les montants financiers engagés en pure perte sont compris entre 10 et 15 milliards par an, 20 milliards dans cinq ans si le plan pluriannuel des énergies renouvelables, entériné sans publicité à l’été 2016, était appliqué en totalité ! (2)

Un exemple simple montre l’absurdité de la situation ainsi créée et le gâchis financier correspondant : la France s’est engagée à ce que 27% de son électricité soit produite en 2030 par des énergies renouvelables. La part de l’hydraulique étant de 12%, 15% devraient provenir de l’éolien et du solaire. Étant donné la contrainte de stabilité du réseau, trois fois ce montant, c’est-à-dire 45%, devrait provenir de centrales thermiques dont la part dans le mix énergétique en 2030 sera donc dix fois celle de la production française actuelle d’électricité d’origine fossile ! Notons que la part du nucléaire descendra alors mathématiquement sous les 30% (3).

Quel bilan peut-on faire de la politique passée, outre l’augmentation du prix de l’électricité ? Les orientations prises, contrairement à ce qu’on a laissé penser par omission, n’ont même pas permis de réduire des émissions de CO2, au contraire ; en outre, les retombées de leur financement sur l’économie, l’emploi et la préparation de l’avenir ont été pratiquement nulles, une grande partie des investissements réalisés ayant été importée. Par ailleurs, cette politique doit être jugée par ce qu’elle n’a pas fait ou par ce qu’elle a laissé faire. D’une part, faute de moyens suffisants et d’une vision claire, les efforts de recherche ont été négligés. Si cette situation perdure, la France prendra un retard inquiétant sur la Chine, les USA et la Russie. D’autre part, notre outil industriel s’est considérablement affaibli : dans le domaine du nucléaire avec le bilan dramatique d’Areva, la vente d’Alstom, le calvaire de l’EPR, les difficultés du Creusot, etc., mais aussi les interrogations sur des acteurs français naguère puissants, y compris l’EDF, l’effondrement du parapétrolier avec, en particulier, la perte de Technip…

Une autre politique.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de choisir ou de bannir telle ou telle forme d’énergie, tel ou tel investissement de production, etc. étant donné les questions fondamentales qui se posent encore et les réponses qui sont loin d’être évidentes, sous-tendant l’avenir même de l’énergie. Citons, outre le stockage de l’électricité, l’évolution des réseaux et l’avenir de l’hydrogène, en particulier dans les piles à combustible. De toute évidence, et c’est là le grand reproche qui doit être fait à tous les décideurs, les orientations et décisions extrêmement couteuses prises jusqu’à présent au plan national comme européen sont incroyablement prématurées ! Ce constat vaut pour tous les aspects du problème énergétique : production, investissements, usages, applications futures, etc. Un exemple parmi beaucoup d’autres est celui des transports et, en particulier, celui de la voiture électrique dont on assiste au développement à marches forcées ! Mais, est-on sûr du bien fondé à terme de cette orientation et des investissements énormes qu’elle entraine et va entrainer ? Si le gain d’un facteur dix sur la masse des batteries évoqué précédemment s’avérait impossible à atteindre, la voiture électrique de demain, comme celle d’aujourd’hui, resterait d’abord un transport de batteries avant d’être un transport de passagers ! Cette filière serait donc très vulnérable en cas d’apparition sur le marché d’une filière au stockage d’énergie moins pénalisant, l’hydrogène par exemple, qui mettrait à bas le bel édifice économique et industriel que nous sommes en train de bâtir ! Or aujourd’hui nous ne savons pas et nous n’avons pas le moyen de savoir, et ceci pour quelques décennies, quel sera le vainqueur parmi toutes les technologies envisageables.

La première décision à prendre serait donc de renoncer à toutes les décisions inutiles, irréalistes et contraires aux objectifs recherchés conduisant au gaspillage de moyens financiers considérables. Dans le même temps, il s’agirait de sortir de l’ambiguïté sur l’énergie nucléaire : il faut choisir entre deux combats, celui contre le neutron et celui contre le CO², ils sont profondément antinomiques. Avec une partie des ressources rendues ainsi disponibles, il faut ensuite revoir ou rebâtir certains programmes, en particulier dans le domaine nucléaire (réacteurs modulables, petits réacteurs, réacteurs à sels fondus) et reprendre un effort significatif dans les domaines du stockage de l’électricité ou de l’hydrogène, des piles à combustible, des panneaux photovoltaïques, du stockage du CO², des supraconducteurs, etc.

Le vrai moment des choix que devra faire la France se situe vers 2050 quand les moyens actuels de production d’électricité devront être remplacés. Ces choix dépendront des réponses qui seront données aux multiples interrogations qui se posent aujourd’hui. Or la France, sur la question du réchauffement climatique, est en bonne position avec une émission de gaz à effet de serre par kWh d’électricité produit cinq fois inférieure à celle de l’Allemagne ; dans la situation difficile où se trouve notre pays, les priorités sont de toute évidence ailleurs. Dans des domaines comme l’énergie, il est nécessaire de retrouver un État stratège, capable de défendre l’industrie française et ses emplois. Or, depuis les grandes décisions de 1973 sur l’énergie, l’attitude de l’État a changé : d’État stratège, il a laissé la place à l’État « politique » se préoccupant essentiellement du court terme et faisant la part belle aux idéologies. Désormais, la raison voudrait que d’ici le milieu de ce siècle la France prépare ses choix et retrouve ses atouts passés en se consacrant à la recherche des futurs outils de production d’énergie, tout en gérant au moindre coût ses moyens existants pour le plus grand bien de la compétitivité de son industrie consommatrice d’électricité.

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1. Stocker deux jours de consommation d’électricité en France (3 TW-h) demanderait 12 millions de tonnes de batteries Tesla (200 kg par Français), utilisant 360.000 tonnes de lithium (production mondiale actuelle : 40.000 tonnes) et couterait plus de 600 milliards d’euros !

2. Un exemple de « gabegie » : six parcs éoliens en mer d’une puissance totale de 3 GW ont été attribués entre 2012 et 2014, le prix d’achat garanti de l’électricité produite étant de 190 €/MW-h sur 20 ans, soit un total de 40,7 G € d’engagement ! Il semble heureusement que malgré les réactions des professionnels concernés et de certaines associations les contrats soient remis en question.

3. Étant donné ces chiffres, on pourrait se poser la question, comme l’a proposé l’ADEME il y a trois ans, d’une production 100% en iENR. La production et la réutilisation de l’hydrogène pour stocker l’énergie destinée à faire face à l’intermittence du vent et du soleil, semblent, aujourd’hui, la seule voie pouvant avoir un début de crédibilité. Le rendement de la chaine – électrolyse, compression à 700 bars ou liquéfaction, transport, utilisation dans une pile à combustible – est actuellement de 20 à 30 %. Sur cette base, on estime que la puissance à installer correspondrait à plus de 300.000 éoliennes de 2 MW (hauteur 150 m), soit 500 millions de tonnes de béton, ou une surface de plus de cinq départements français dans le cas du soleil ! Est-ce réaliste ? Est-ce souhaitable ?