L’agriculture française face aux enjeux du développement durable
ECONOMIE
Par Bernard Courtois
7/7/20248 min read
Préambule.
Cette note rédigée à la veille des prochaines échéances électorales couvrant la période 2022-2027 se veut une interrogation sur la compatibilité des orientations budgétaires retenues par le Plan Stratégique National dans le cadre de la Politique Agricole Commune 2023-2027 avec la légitime reconquête de notre souveraineté agricole et alimentaire.
Cette reconquête ne nous exonère pas de nos engagements internationaux souscrits dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, le respect de la biodiversité, la protection de nos espaces qui font de la France ce pays d’un certain art de vivre.
PRODUIRE mieux, PRODUIRE en confiance et PRODUIRE plus, tels doivent être les objectifs d’une politique agricole responsable.
PRODUIRE mieux c’est :
Participer à la lutte contre le changement climatique.
Protéger la biodiversité.
Veiller au bien-être animal.
Participer à la redynamisation des territoires en souffrance économique.
Rationaliser l’usage de l’eau et respecter sa qualité.
Plus différencier les productions et notamment celles destinées aux marchés extérieurs.
Moderniser installations et matériels de production.
Maitriser la digitalisation nécessaire à l’agriculture de précision.
Actualiser ses connaissances et exiger l’information sur pratiques culturales innovantes réussies.
Lutter contre toutes les pertes de matière première agricole dans les processus de collecte et de transformation.
PRODUIRE en confiance implique
Une Information des partenaires des producteurs aux consommateurs par traçabilité publique des produits.
Prise en compte des impacts environnementaux dans les cahiers des charges des signes officiels de qualité et d’origine : AOP, AB, HVE, label rouge.
Un soutien et accompagnement des autorités locales pour des circuits courts facilitant la transparence.
Une éducation du consommateur sur l’importance de l’acte d’achat sur l’orientation des filières, sur la qualité de l’alimentation, la conservation des aliments, la reconnaissance qualitative des produits pour un juste prix.
X X
XPRODUIRE plus dans le but de :
Garantir l’approvisionnement des européens à des produits de qualité à des prix raisonnables.
Affirmer notre présence et nos capacités d’ exportations sur les marchés internationaux.
Mettre un terme à l’évolution tendancielle négative de notre balance commerciale qui pour la première fois depuis la création de l’OECE en 1948 est devenue légèrement déficitaire.
Valoriser nos savoir-faire et le potentiel de nos terroirs.
Participer à l’amélioration des revenus des agriculteurs.
Souligner l’importance de la place des agriculteurs dans la société française.
Offrir des emplois hautement qualifiés.
Soutenir l’économie circulaire et la lutte contre les gaspillages alimentaires.
Ce préambule est délibérément succinct pour s’attacher aux objectifs. La mise en œuvre sera complexe. Les équipes mises en place à l’occasion des échéances électorales pourront avec intérêt se référer au dossier : » Quel avenir pour l’agriculture en France dans 20 ans ? » publié par la revue Sésame INRAE consultable gratuitement par ce lien..
Le Plan Stratégique National de la politique agricole commune 2023-2027 va-t-il faciliter la reconquête quantitative de la production agricole française et parvenir à concilier productivité et durabilité ?
En d’autres termes Produire mieux est- il compatible avec Produire Plus ? et les préconisations agro-environnementales au titre de la conditionnalité des aides accordées sur crédits FEAGA et FEADER, aides regroupées sous les qualificatifs MAEC (Mesures Agro Environnementales et Climatiques) et BCAE (Bonnes conditions Agricoles et Environnementales vont-elles conduire à réduire l’offre des productions agricoles françaises sur les marchés ?
De la liste de cet ensemble de mesures édictées dans le cadre de la Politique agricole commune au titre de la contribution de l’agriculture européenne à la réduction de 50% d’ici à 2030 des émissions de Gaz à Effet de Serre, au respect de la biodiversité, à la préservation des ressources naturelles retenons les mesures suivantes :
sobriété dans l’utilisation des produits phytosanitaires et des engrais minéraux ;
maintien des prairies permanentes avec interdiction (sauf nécessité reconnue par les services de la protection des végétaux) du labour et d’un traitement phytosanitaire chimique((les effets les plus drastiques sont parfois les traitements vétérinaires, type overmectine…));
élevage à l’herbe des bovins, ovins et caprins ;
diversification des productions avec allongement des assolements (au moins trois cultures) ;
préservation des écosystèmes par maintien des bosquets, espaces boisés, mares, haies ;
couverture végétale inter-rang des cultures pérennes (vignes, vergers .. ) et cultures dérobées sur terres arables pour engrais vert ;
promotion des légumineuses en vue de diminuer engrais azotés minéraux et réduire notre lourd déficit en protéines végétales.
A ces mesures agro- environnementales sans effet sensible sur la productivité s’ajoutent dans le cadre de la conditionnalité des aides directes à l’hectare trois préconisations susceptibles de retarder cette reconquête et qui sont les suivantes :
chargement des prairies limité à 1,4 UGB par hectare ;
5% des terres labourables en SIE (surfaces d’intérêt écologique) non cultivées pour les exploitations dont les terres arables sont supérieures à 15 hectares ;
18% des SAU en culture Bio à l’horizon 2027 et 40% en 2040.
Cet ensemble de recommandations présenté au parlement européen sous le qualificatif « Farm to fork » a été validé par les élus écologistes et la très grande majorité des élus de gauche, les élus de droite votant contre ou s’abstenant au motif que cette stratégie risquait de sacrifier « notre autonomie alimentaire et l’avenir de nos agriculteurs ». Cette mise en garde s’appuierait sur des études conduites par l’Université de Kiel en Allemagne et par l’Université de Wageningen aux Pays-Bas.
Sans revenir sur nos engagements internationaux , il n’est pas douteux dans cette période de transition écologique qu’une application trop rapide et insistante de certaines préconisations ne laisserait pas un temps suffisant pour obtenir une réduction significative des intrants chimiques attendue d’une agriculture plus précise (digitalisation), de pratiques culturales mieux adaptées à la nature et structure des sols , d’ une fertilisation par engrais verts((Il est souvent question d’engrais verts, mais de fait si les légumineuses apportent de l’azote, les engrais verts cultivés ne fertilisent pas, ils n’apportent pas d’éléments minéraux, ils apportent de la matière organique, ils fixent du carbone et amendent le sol.)), du biocontrôle (méthodes de protection des végétaux par mécanismes naturels).Elle aurait pour conséquence de retarder la reconquête de notre souveraineté voire d’aggraver notre balance commerciale et en raison de leur caractère encore expérimental de rendre moins attractif le métier d’agriculteur à un moment où se pose avec urgence la nécessité du renouvellement générationnel.
Ce renouvellement est important par son urgence et son intensité ; 40% des agriculteurs vont cesser leur activité d’ici à 2026 ; Or, s’installer exige non seulement la disponibilité suffisante en hectares et une capacité professionnelle reconnue, mais aussi des moyens financiers importants pour l’acquisition du capital circulant , la modernisation des installations liées à la nature des productions ( stockage et conditionnement) et la constitution du fond de roulement.
Une aide au titre de l’installation – la Dotation Jeunes Agriculteurs- est censée contribuée à la solution de ces exigences financières. Variable selon les régions plus élevée en zones défavorisées et modulée pour donner un concours supplémentaire aux installations hors cadre familial ,aux projets répondant aux principes de l’agroécologie et aux projets générateurs de valeur ajoutée et d’emploi son montant moyen a été en 2020 de l’ordre de 35000 €. Cofinancée par le FEADER et l’Etat sa gestion est assurée par les régions.
Sans m’attarder sur la complexité du dispositif (Se mettre à la place d’un(e) candidat(e) très attiré(e) par la richesse humaine du métier d’agriculteur peu familier(e) des arcanes procéduraux propres aux administrations européennes, nationales et territoriales ne serait pas inutile !) Il est regrettable que cette priorité vitale pour notre économie agricole et le développement équilibré de nos territoires ne soit pas clairement mentionnée à la lecture des 608 pages du PSN et qu’à la différence de la conversion BIO, la dotation affectée à l’installation de nouveaux agriculteurs ne soit pas mieux identifiée entre aide complémentaire au revenu, dotation en capital et aide régionale à la création d’entreprises en milieu rural (candidats ayant dépassé l’âge de 40ans).
Il faut noter la relative modicité des dotations qui fixée à hauteur de 101 M€ pour l’aide complémentaire au revenu des jeunes agriculteurs représenterait 50% de l’objectif de soutien au renouvellement générationnel en comparaison de la dotation de 340 M€ pour la conversion BIO. Suite au drame ukrainien et à ses conséquences sur le commerce mondial des céréales comme sur l’avenir de l’élevage et la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs il est probable que devra être assurée en première priorité la valorisation au maximum de notre potentiel productif agricole.
Le renouvellement générationnel exige pour chaque installation une disponibilité suffisante en superficies à vocation agricole. Réussir ce renouvellement implique la préservation des terres arables ;
Or, cette préservation est chaque année dénoncée en raison d’une artificialisation des sols estimée entre 20000 et 30 000 hectares ; Seraient en cause l’étalement urbain et les nouvelles infrastructures. Combattre cette dérive par densification de l’armature urbaine, réhabilitation des centre- ville des communes rurales, optimisation de l’emprise au sol des zones d’activité, infrastructures de transport et grands équipements s’impose aux aménageurs de nos territoires.
Répondre à l’exigence du développement rural requière également :
Des institutions de recherche
publiques et privées harmonieusement réparties sur le territoire et performantes dans les disciplines de l’agronomie, des biotechnologies et de l’écologie.
L’Etat par ses institutions de recherche et d’enseignement supérieur et son rôle de stratège dans la définition des investissements d’avenir se doit par ses dotations budgétaires assurer le recrutement des chercheurs au meilleur niveau et mettre à leur disposition des installations et équipements les plus performants.
Par le maintien d’une fiscalité encourageante il doit également contribuer à dynamiser les investissements privés et leur permettre de contribuer au progrès de la connaissance dans le domaine des sciences du vivant.
Un accompagnement technique et technologique des agriculteurs
Il revient aux corps intermédiaires : chambres d’agriculture, coopératives agricoles, instituts techniques agricoles, d’assurer cet accompagnement et de mettre à la disposition des agriculteurs les Outils d’Aide à la Décision ainsi que les moyens d’actualiser leur connaissance. Rappeler au cours de réunions d’information le besoin d’actualiser ses connaissances s’impose ;
Une ingénierie décentralisée pour la mise en application des projets innovants
Créer de la valeur ajoutée grâce à l’innovation née de l’intelligence enrichie de l’expérience est l’un des meilleurs moyens pour accroitre les revenus des agriculteurs. Elle requière pour sa mise en œuvre une ’ingénierie opérationnelle que pourraient mettre en œuvre les régions au niveau de leurs arrondissements. Pendant longtemps les ingénieurs et techniciens des Directions Départementales de l’Equipement et des Directions Départementales de l’Agriculture et des Forêts ont assuré auprès des maires et élus territoriaux cette ingénierie de l’innovation.
Une solidarité de la société civile avec le monde rural
Cette solidarité régionale s’exprime à l’occasion de l’élaboration du schéma directeur régional des exploitations agricoles qui structure la politique foncière de l’espace agricole régional et par une gestion avisée des crédits du FEADER destinés au financement des mesures agroenvironnementales et des projets prioritaires retenus au titre de la mise en application du plan régional de compétitivité et d’adaptation des exploitations.
Ce soutien de la société civile dont a besoin l’agriculture dans l’exercice de ses responsabilités ne pourra être obtenu que par une bonne et objective information de nos concitoyens sur les pratiques mises en œuvre pour offrir aux consommateurs une alimentation sure saine et de qualité et respectueuse du bien -être animal et de notre patrimoine naturel : espèces et écosystèmes.
En conclusion pendant cette période de transition agroécologique c’est dans l’utilisation rationnelle des facteurs de production et leur pertinente combinaison, dans la diminution des quantités perdues dans la chaine de valeur, dans l’application sans ardeur excessive des préconisations agroenvironnementales que nous pourrons éviter la décroissance de nos productions agricoles offertes sur les marchés.
Conscients que seule la valeur ajoutée de leurs productions et la reconnaissance de leur excellence peut leur assurer des revenus décents, les agriculteurs attendront des pouvoirs publics et des acteurs de la société civile un accompagnement dans l’organisation de leurs filières, la consolidation de leurs réseaux commerciaux, l’ information sur les dernières avancées technologiques , l’actualisation de leurs connaissances et la maitrise de leur communication.
Parce qu’ils sont les principaux acteurs du développement rural et les seuls à mettre en valeur la spécificité des terroirs, les élus territoriaux doivent être particulièrement attentifs au renouvellement générationnel des agriculteurs : réussite indispensable à l’équilibre économique et social de nos provinces.
C’est par la satisfaction de cet ensemble de conditions que notre souveraineté agricole pourra redevenir réalité.
Mission
Un groupe de réflexion économique, politique et sociale.
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