Lecture critique de la plaquette de l’institut Montaigne sur la sortie de l’euro

Par Jean-Pierre Gérard, le 28 février 2017.

UNION EUROPÉENNE / ZONE EURO

7/7/20246 min read

J’ai lu avec beaucoup d’attention la plaquette de l’institut Montaigne sur la partie économique du projet du Front National. En fait il s’agit uniquement de critiquer la sortie de l’euro et la restauration d’une monnaie nationale le franc.

Je dois dire que l’institut Montaigne nous avait habitués à beaucoup mieux. Et que ses études en général étaient bien plus fouillées et bien mieux étayées. Parmi les défauts les plus importants que je vois dans cette plaquette, j’en retiendrai trois. Les affirmations péremptoires et non démontrées, des tautologies, et enfin la quasi exclusivité de l’approche financière.

Les affirmations péremptoires.

L’affirmation selon laquelle « la quasi-totalité des publications sérieuses » que l’on trouve à la page sept est non seulement péremptoire, mais également fausse. Tout le monde sait fort bien que si une dose de libre-échange et le degré d’ouverture d’une économie sont des facteurs favorables à la performance, encore faut-il que ceci se passe dans un univers où les règles de fonctionnement sont partagées, que la répétition des échanges puisse assurer l’émergence de la confiance et enfin que le socle de ces échanges soit un ensemble culturel partagé. Le libre-échange avec l’Allemagne et les pays voisins sont favorables, ce même libre-échange avec des pays aux cultures trop différentes ne peut pas avoir la même efficacité ni la même permanence.

Il est également affirmé que l’intégration au sein de l’union européenne augmente spontanément les échanges entre deux pays membres de 40 à 50 % en moyenne. Outre le fait qu’on s’appuie sur un modèle économétrique dans le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas exempt de critiques, rien ne permet de juger de la qualité de cette intégration. Nous pouvons être intégrés à 100 % en achetant à l’Allemagne la totalité de nos besoins et en équilibrant par l’emprunt. Cette intégration est-elle de bonne qualité ? Est-elle satisfaisante pour l’avenir ? Personnellement je ne le pense pas. Car il apparaît absolument indispensable que nos économies soient complémentaires, ce qui les rend par définition, de manière différenciée, sensibles à des variations de taux de change.

Un long paragraphe traite des barrières non tarifaires qui seraient nécessairement mises en place. D’abord cela n’a rien d’évident, mais, et vous pouvez croire l’ancien président du laboratoire national d’essais, l’existence de déséquilibres entre la normalisation française et celle des autres pays européens se fait déjà au désavantage des entreprises françaises. L’union européenne a sa propre normalisation, elle n’interdit pas de soumettre les entreprises des états membres à des normes plus compliquées (ce dont la France ne se prive pas), mais à partir du moment où la norme européenne est respectée, même si elle est moins contraignante qu’en France, les produits concernés doivent être acceptés dans tous les pays de l’union.

Les erreurs de raisonnements sont nombreuses

On critique la mesure de la sortie de l’euro par le risque de dévaluation. C’est malheureusement confondre la cause et la conséquence. Le but recherché dans la sortie de l’€, c’est justement de sortir de ce piège qu’est devenu la sous compétitivité du pays. Une dépréciation du taux de change, ici de 20 % ailleurs entre 10 et 15 pour cent, auraient pour les rédacteurs un effet catastrophique sur l’emploi. Il est quand même étonnant de constater que d’une part la situation actuelle de la compétitivité de la France est mauvaise, et que d’autre part le maintien d’un euro fort serait positif pour l’activité. On affirme dans ce même document que le taux de change réel actuel de l’économie française était surévalué de 11 %. Volontairement, parce qu’on ne peut pas nier l’effet positif d’un rattrapage de la parité à sa vraie valeur, on fait mine de croire que cet effet ne sera que temporaire.

Toujours à la page sept, on tire la conclusion que la productivité et le dynamisme de l’économie en serait diminué. Il est très vraisemblable qu’il en serait ainsi en moyenne. Avec une augmentation des activités, et une diminution du chômage ou plus exactement une augmentation des emplois, la productivité moyenne des entreprises diminuera pour un effet de moyenne et non pour les raisons indiquées dans le document. Il est certain que si les entreprises et les activités ont un meilleur rendement, la productivité moyenne constatée ex post sera alors inférieure à celle constatée ex ante. La raison en est toute simple, les activités nouvelles qui grâce à la dépréciation, peuvent exister de nouveau, auront tout naturellement une productivité inférieure (car sinon elles auraient survécu dans la période de vaches maigres) entraînant ainsi une baisse de la productivité moyenne des entreprises. On ne doit pas en tirer la conclusion que ceci est dramatique, c’est même l’inverse qui devrait être analysé.

La tautologie

Alors que dans l’essentiel du texte, il est estimé il faut réduire la dépense publique, à la page 12 il est affirmé que ceci aurait des conséquences fortement négatives. Il est certain qu’une hausse des taux d’intérêt entraînerait inévitablement la question des dépenses publiques, mais n’est-ce pas déjà une ardente obligation que de devoir s’y soumettre. Personnellement, j’estime qu’une hausse des taux d’intérêt améliorerait de manière significative les choix économiques de l’ensemble des acteurs sur le territoire national. La rentabilité des entreprises et des activités qui doivent rémunérer à partir de l’excédent brut d’exploitation le coût des échecs d’investissement, l’obsolescence du matériel, la fiscalité, et enfin assurer un minimum de rentabilité pour les investisseurs, est aujourd’hui concurrencée par des projets sans cohérence et sans rentabilité. La conséquence en est qu’on constate une inflation du prix des actifs en raison de leur rareté, engendrée par un état utilisant sans contrainte des capitaux à bas coûts.

Je ne comprends pas les analyses concernant la couverture des dettes. Il n’y a aucune différence entre la rupture du lien organique que représentent l’euro, et la dépréciation éventuelle de la monnaie d’un pays. Les dettes contractées par la Grande-Bretagne sont remboursées en livres mêmes si celle-ci se déprécie de 10 à 15 % ce qui était le cas. De la même manière, les dettes contractées en euro il y a sept ou huit ans sont toujours remboursés en euro indépendamment de la dépréciation de l’euro d’environ 10 à 15 % depuis cette date. Au jour choisi, la France va récupérer son indépendance monétaire. Avant le jour J, sa monnaie était l’euro, et immédiatement après sa monnaie est l’euro franc. L’euro franc sera coté sur le marché et évoluera selon sa propre vie. Cela sera la monnaie de la France, et ses emprunts seront remboursés dans la monnaie française. Fondamentalement, cela ne change rien à ce qui se produisait quand nous étions en taux de change fixe.


Nous pourrions revenir sur un très grand nombre des informations et affirmations de ce texte. Ce qui m’a frappé au plus haut point, c’est le parti pris délibérément de n’analyser que les conséquences financières. Deux conclusions me paraissent alors évidentes, d’une part cela montre que les gagnants de l’euro ont été les institutions financières, sinon elles ne craindraient pas trop cet ajustement économique. D’autre part cette analyse fait l’impasse totale sur le comportement de l’économie réelle, or c’est ce qui fait la différence entre l’analyse du Front National et celle de l’institut Montaigne. L’institut Montaigne parle à peine des entreprises, de leur niveau d’activité, de leur capacité à se développer si ce n’est par l’intermédiaire des capitaux. Mais une entreprise ce sont d’abord des produits, le travail des personnels des entreprises, et en fin de compte seulement avec des capitaux dont il est nécessaire d’assurer une meilleure rentabilité.

Le choix du retour à une monnaie nationale fait par le Front National n’est pas critiquable en l’état et surtout avec les arguments utilisés par l’institut Montaigne. Il est certain, que la perte d’autonomie économique engendrée par l’euro a eu comme conséquence un affaiblissement dramatique des économies les plus pauvres. En France cela a eu pour effet de renforcer le poids économique de Paris, Lyon, l’Alsace et dans une moindre mesure Marseille et Bordeaux. Il est indispensable de retrouver un meilleur équilibre économique de notre pays.

En revanche, le programme économique du Front National est fortement critiquable dans son aspect productif. La France a perdu énormément de sa capacité de production tant sur le plan industriel que sur le plan agricole. Relancer une activité quelconque par la consommation n’aura comme seul impact que d’augmenter les importations. Il est de la plus haute importance de renforcer l’outil de production, et pour cela de laisser des entrepreneurs et les agriculteurs assumer leur développement, plutôt que de confier à un état fut il « stratège » la définition et les orientations des productions futures. Mais cette erreur est malheureusement toujours commise par la haute administration et on le constate de manière évidente à la lecture du plan économique de Madame Le Pen.