Les 5 points à considérer pour se forger une opinion sur ce que provoquerait vraiment une sortie de la zone euro
Entretien avec Jean-Pierre Gérard paru sur Atlantico le 26 février 2017.
UNION EUROPÉENNE / ZONE EURO
7/7/202412 min read
Depuis le Brexit, la sortie de la zone euro interpelle les différents pays de l'Union. C'est le cas des Pays-Bas où les députés néerlandais se demandent s'ils pourraient abandonner l'euro après avoir commandé un rapport sur l'avenir de la monnaie. En France, alors que les échéances électorales se rapprochent, la question est souvent évoquée.
Atlantico : Des entreprises du CAC 40 ou des classes moyennes françaises, qui paierait vraiment une sortie de l'euro ?
Philippe Crevel : Les entreprises du CAC 40 sont des entreprises mondiales qui tirent une part non négligeable de leurs revenus de leurs exportations et de leurs filiales installées à l’étranger et en premier lieu au sein de la zone euro. Elles sont par ailleurs importatrices de nombreux biens intermédiaires, de matières premières et d’énergie. Elles seraient, de ce fait, pénalisées par une sortie de la France de la zone euro, sortie qui aurait pour conséquence une implosion du système européen, et en premier lieu de son système financier. Elles seraient confrontées à des coûts de change, et surtout à de fortes variations au niveau des monnaies ce qui compliquerait l’organisation des échanges.
La France, qui compte plus que l’Allemagne de grandes entreprises, serait fortement pénalisée. Par ailleurs, les coûts de production augmenteraient du fait du renchérissement des importations provoqué par la dépréciation de la nouvelle monnaie nationale. Certes, les exportations seraient favorisées sous réserve que l’outil de production puisse répondre à la demande. Il n’est pas impossible que la fin de l’euro provoque une guerre commerciale qui aboutisse à une forte réduction des exportations. En outre, il ne faut pas oublier que 50 % de la capitalisation du CAC 40 est détenu par des non-résidents qui ne souhaiteront pas conserver des titres exprimés dans une monnaie en perte de vitesse et représentant des sociétés d’un pays en déclin économique. Il en résultera un manque de capitaux pour les grandes entreprises qui devront se tourner vers le crédit, qui sera sans nul doute encadré.
Les classes moyennes seront touchées au niveau de leur travail. Plus d’un quart des salariés français travaillent pour l’exportation et risquent donc de voir leur activité mise à mal. Leur pouvoir d’achat sera amputé du fait que les importations coûteront de 20 à 40 % plus chères. Par ailleurs, l’inflation, qui sera plus élevée, rognera leurs salaires - qui ne seront pas indexés - et la valeur de leur patrimoine. Du fait que les banques devront faire face à une réduction drastique de leurs fonds propres, l’accès au crédit sera compliqué d’autant plus que les taux d’intérêt pourraient atteindre plus de 7 %. En effet, pour obtenir des devises et des capitaux étrangers nécessaires pour régler les importations, la Banque de France devra maintenir des taux élevés. L’assurance-vie sera bloquée car face à un tel choc obligataire, les compagnies d’assurance seront confrontées à un problème de solvabilité. Le nouveau gouvernement devra faire usage du dispositif de la loi Sapin II.
Enfin, il sera plus difficile et coûteux de voyager à l’étranger. Un carnet des changes comme dans les années 1980 pourrait être institué pour limiter les achats de devises.
Jean-Pierre Gérard : Il faut bien avoir conscience que le CAC 40 ne représente qu'un indice. D'une part, sa composition repose sur 40 entreprises dont l'appartenance varie dans le temps. Depuis sa création en 1987, seules 14 de celles qui en faisaient partie à l'époque, y sont encore. Par ailleurs, toutes ces entreprises aujourd'hui sont fortement internationalisées : leur activité, d'après les derniers chiffres fournis, est faite à au moins 60 % en dehors de France, et très vraisemblablement une part encore plus importante des résultats.
La sortie de l'euro, pour ces entreprises, est sans doute neutre, mais elle pourrait représenter un atout supplémentaire en leur permettant de mieux rentabiliser les capitaux encore investis en France, et il n'y a aucune raison de penser que dans les autres régions du monde, les choses seraient très différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. En tout état de cause, elles ont une très grande capacité à s'adapter.
On a vu que les classes moyennes étaient celles qui avaient le plus souffert des conséquences économiques de la monnaie unique. Non pas directement, mais en raison des effets récessifs cumulés de l'euro et des politiques économiques suivies par les différents gouvernements. Il n'est pas impossible que ce soit encore elles qui soient mises à contribution pour corriger les erreurs de politique économique.
Il tombe sous le sens que le retour à une meilleure activité demandera un minimum de temps. J'évalue celui-ci à environ 12 à 18 mois. Quelles seraient les conséquences d'une sortie de l'euro sur la dette française ?
Jean-Pierre Gérard : Depuis longtemps, nous avons déjà examiné ce problème, qui est toujours traité de la même manière par les eurolâtres. Pour tenter de disqualifier les personnalités compétentes qui préconisent la sortie de l'euro, on laisse croire que la dette devra être remboursée en euros allemands avec des francs dévalués.
Quand par le passé, le franc dévaluait, les emprunts d'État étaient remboursés en francs puisque c'était la monnaie du pays émetteur de ces emprunts. Si nous sortons de l'euro, nous passerons à un euro franc qui vaudra, le jour même, la même valeur qu'un euro d’avant la sortie. Puis, cet euro franc évoluera plus ou en moins en fonction des conditions de la vie économique. Il est certain qu'il pourra y avoir une certaine dépréciation, mais celle-ci ne sera ni plus ni moins négative que lorsqu'on procédait à une dévaluation du franc. Il est vrai cependant que d'avoir laissé pendant 15 à 20 ans notre économie dériver de cette manière risque d'entraîner une dépréciation sensible que pourtant je n'estime pas supérieure à 10 % par rapport à l'euro des pays qui le conserveront. Il ne me paraît même pas totalement impossible que cette dépréciation ne soit que temporaire. Le redressement de l'activité économique interne le permettrait, pour autant que le pouvoir politique accepte de faire autre chose qu'une politique de redistribution de la pénurie et s'engage délibérément à renforcer la production intérieure. En tout état de cause, les emprunts de l’État français devront être remboursés dans ce qui est la monnaie du pays, l'euro jusqu'à la sortie, puis l'euro franc par la suite.
Le seul problème qui puisse se poser est celui des conventions entre acteurs privés. La solution me paraît pourtant très simple : tous les contrats font en général mention du pays dans lequel les emprunts sont contractés. Si ces emprunts sont faits auprès de sociétés suisses, on rembourse en francs suisses. De la même manière, si ces emprunts privés sont faits auprès de banques de la zone de l'euro franc, ils seront remboursés en euros francs.
Je voudrais ajouter qu'il y a toujours eu un différentiel entre les taux d'intérêt auxquels la France pouvait souscrire par rapport à l'Allemagne. Cela signifie bien que les prêteurs estimaient le risque supérieur. Ils sont donc rémunérés pour cela. Bien évidemment, si le risque devient avéré, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes.
Enfin, est-ce qu'une telle solution risque d'engendrer des difficultés ultérieures pour le financement par l'emprunt auprès de la communauté internationale ? Si nous regardons le temps qu'il a fallu aux pays ayant fait défaut pour retrouver une crédibilité internationale, nous pouvons être assez confiants. Le délai maximum de méfiance pour retrouver des taux d'intérêt normaux n'a jamais dépassé deux ans. Compte tenu de la masse des liquidités disponibles dans le monde, je suis convaincu, si toutefois la politique économique interne est sérieuse et orientée vers la production plus que vers la répartition, que ce délai sera bien inférieur tant les prêteurs ont besoin de trouver ou investir.
Philippe Crevel : La dette française exprimée en euros à l’heure actuelle pourrait l’être en nouvelle monnaie nationale. Mais une telle conversion sans accord préalable avec nos anciens partenaires européens pourrait être assimilée à une banqueroute. Si tel était le cas, compte tenu de la dépréciation incontournable de la nouvelle monnaie nationale, la dette française perdrait entre 20 et 40 % de sa valeur pour les créanciers non-français (57 % de la dette serait concernée). Ce serait les Allemands, les Italiens, les Belges, les Néerlandais et les Britanniques qui seraient les principales victimes de ce tour de passe-passe. Il y aurait évidemment une sanction immédiate : les pouvoirs publics et l’ensemble des agents économiques français ne pourraient plus se financer à l’international. Il faudrait recourir à la planche à billets avec, à la clef, une dépréciation continue de la monnaie, et donc un accès difficile aux devises. L’autre solution serait d’augmenter les impôts. Dans tous les cas, assez rapidement, la France devra faire appel au FMI pour finir ses fins de mois comme le Royaume-Uni avant l’arrivée de Margaret Thatcher.
Si le nouveau gouvernement accepte de rembourser sa dette en euros, celle-ci serait majorée de 20 à 40 %. Une telle appréciation mettrait en danger les finances publiques et obligerait l’Etat à demander un rééchelonnement de la dette.
Dans l’un comme dans l’autre cas, les taux d’intérêt s’envoleraient provoquant un arrêt de l’investissement et un krach immobilier. Le système financier serait également mis en tension d’autant plus que la sortie de la France entraînera, par ricochet, une crise en Italie ainsi qu’en Espagne et au Portugal.
Quels effets observerait-on, dans le cas où la France quitterait la zone euro, sur le chômage ?
Philippe Crevel : La France est un pays intégré à l’Europe. Elle accueille de nombreuses multinationales qui, sans nul doute, se rapatrieront dans des pays moins sujets à des variations de change. Par ailleurs, plus du quart des salariés français travaillent à l’exportation. Une sortie de l’euro signifiera une moindre croissance et donc une augmentation du chômage. Une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de 500 000 à 800 000 est fort probable dans les deux/trois premières années. La récession pourrait occasionner un recul du PIB de 7 à 10 points en 2/3 ans.
Jean-Pierre Gérard : Tout ce que nous proposons de faire en sortant de l'euro vise à retrouver un niveau d'activité supplémentaire sur le territoire national. Il est certain que la sortie de l'euro, et une dépréciation de l'euro franc, contribuera - et c'est pour cela qu'il faut le faire - à améliorer l'activité économique au sein de notre pays. L'appréciation du dollar, et donc corrélativement la dépréciation de l'euro durant l'année 2016, a eu un effet assez bénéfique sur l'activité. Une dépréciation supplémentaire, qui viendrait de la sortie de l'euro, ne pourrait que renforcer cette tendance. Cela se traduit d'abord par une rémunération meilleure du capital investi (dans tous les pays industriels du monde, la rentabilité du capital est de l'ordre de 15 % alors qu'elle n'est que de 8 % en France). Cette meilleure rentabilité du capital permet de consolider les situations de marché, d'assumer les pertes engendrées par les échecs, d'assurer le renouvellement du capital, de payer les impôts, et à la fin de pouvoir payer éventuellement des dividendes sans l'existence desquels personne n'investirait.
On voit dès lors que le renforcement des activités productives entraînerait une dynamique de la production. Inéluctablement, celle-ci se traduira par une augmentation des emplois disponibles et recherchés, dans des proportions qui peuvent être très importantes. Si cette augmentation des emplois ne se traduit pas par une diminution du chômage, il faut en chercher la cause alors ailleurs. Pour avoir exercé longtemps des responsabilités industrielles, je crois pouvoir affirmer que la politique suivie par tous les gouvernements depuis 40 ans a été néfaste pour l'industrie française. Cette politique a eu pour effet de créer de grandes entreprises internationales qui, finalement, pouvaient vivre de manière très satisfaisante sans tenir compte de la situation française. Il leur suffisait d'orienter les investissements là où l'opportunité s'en faisait le plus sentir. D'un autre côté les toutes petites entreprises pouvaient également tirer leur épingle du jeu en raison de quelques avantages spécifiques et de leur grande souplesse d'adaptation. Mais cette politique a laissé un vide pour les entreprises de taille intermédiaire et moyenne qui, pourtant, sont dans tous les pays industriels les véritables ressorts d'un redémarrage économique.
Il ne faut pas négliger non plus certains aspects moins directement économiques mais aux conséquences mal maîtrisées. La faible rentabilité économique des entreprises françaises, alors même que le marché des capitaux est complètement ouvert au niveau mondial, conduit les entrepreneurs à privilégier un financement lié à l'endettement pour pouvoir profiter d'un effet de levier financier et ainsi retrouver une rentabilité des capitaux propres comparable à ce qui existe au niveau mondial. Il y a là une source de fragilité que bon nombre de nos concurrents savent très bien exploiter (comme General Electric par exemple).
Pour réduire le chômage, "on a tout essayé" disait François Mitterrand. J'ajouterai sauf ce qui pouvait réussir. Parlons moins de réduire le chômage, et beaucoup plus d'augmenter l'activité.
En termes de pouvoir d'achat, quel impact aurait une sortie de la France de la zone euro ?
Jean-Pierre Gérard : Cela est relativement simple : toutes les importations non substituables augmenteront, et viendront diminuer le pouvoir d'achat. La plus grande partie de ces importations concerne l'énergie, et en particulier le pétrole. Je pense personnellement que le renchérissement des importations et la perte de pouvoir d'achat qui en résulterait dépendent beaucoup plus de la politique fiscale qui sera menée. Dans la consommation des carburants, la fiscalité représente au minimum 80 % du prix final. Ou l'État maintient la pression fiscale en valeur absolue, et alors la baisse de pouvoir d'achat est minime, ou l'État garde une pression fiscale en valeur relative et n'accusons pas alors le prix du pétrole de faire baisser le pouvoir d'achat.
Certains produits sont substituables aux importations, en particulier en provenance de Chine ou d'autres pays du sud-est asiatique. La baisse des coûts de production intérieurs, jumelée à une croissance des coûts salariaux dans ces mêmes pays, devrait engendrer un rapatriement de certaines activités. Encore une fois, cela dépend beaucoup de la politique économique et sociale internes. En tout état de cause, ce rapatriement sera favorable à l'augmentation des emplois, et devrait naturellement contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat d'une catégorie de population maintenue trop longtemps dans l'inactivité.
Au total et pour résumer, malgré ce qu'on a pu dire sur la sortie de l'euro monnaie unique comme condition nécessaire au redressement de notre pays, elle n'en est pas pour autant suffisante. Nous avons dérivé pendant trop longtemps, pour pouvoir espérer reconquérir en peu de temps le terrain perdu.
Philippe Crevel : La sortie de l’euro provoquera une augmentation des prix du fait du surcoût sur les importations en premier lieu énergétique. Pour contrecarrer cette inflation, le gouvernement pourrait décider le blocage des prix et des salaires.
Les pouvoirs publics devront réduire leurs dépenses du fait de la disparition du financement extérieur. Il en résultera une moindre revalorisation des prestations sociales et des pensions.
Les revenus de l’épargne devraient moins rapporter ce qui pénalisera les ménages détenteurs de contrats d’assurance-vie.
Dans quelle mesure une sortie de la France de la zone euro viendrait-elle modifier nos rapports avec les autres pays européens ?
Philippe Crevel : La sortie de la France de la zone euro serait un choc, la fin d’une histoire commencée après la Seconde Guerre mondiale. L’Europe, déjà mise à mal par le rejet du traité constitutionnel de 2005 et le Brexit, serait menacée d’explosion. La France, pays fondateur de la CECA, de la CEE, de l’euro, la France, deuxième économie de la zone euro et première puissance militaire, est avec l’Allemagne et l’Italie une des cartes mères de l’Union européenne. Son départ de la zone euro traduirait le retour du protectionnisme, qui a été une des caractéristiques de notre pays au XIXe siècle (sauf durant le Second Empire) et dans les années 1930. C’est le repli de la France. Comme la France est dépendante du reste de l’Europe pour ses importations, certes nos partenaires pourraient avoir intérêt à maintenir des relations commerciales mais aux yeux des Allemands, ce départ sera perçu comme une trahison. L’Allemagne ira trouver son salut à l’Est et au Nord, voire avec la Chine. L’Espagne sera certainement plus sensible aux appels allemands qu’à ceux de la France. Il faut toujours s’allier avec les pays puissants et non avec les pays faibles en déclin.
Jean-Pierre Gérard : La réponse est particulièrement simple. Un grand pays comme la France ne peut accepter durablement d'être "lié aux pattes" comme le disait le général De Gaulle, par des conditions de fonctionnement de l'Union européenne inacceptables et aussi peu favorables à nos intérêts. Il est certain que l'affaiblissement de la France fait l'affaire de quelques-uns. Je pense personnellement que notre pays doit se donner une grande ambition sans laquelle il ne peut être lui-même et resterait le pays des zizanies exacerbées par des partis politiques très fortement divisés.
La Grande-Bretagne a vécu 30 ans sous un travaillisme redistributeur. Je ne doute pas que certains pays ne sont pas mécontents de voir la France s'affaiblir, mais nos amis européens devraient se sentir rassurés de voir la France prendre enfin son destin en main.
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