Les évolutions de la démographie mondiale
DÉMOGRAPHIE
Par Roland HUREAUX
7/7/202411 min read
Est-il nécessaire de rappeler l’importance de la démographie comme déterminant fondamental de la géopolitique ?
Malheureusement cette science, en plein déclin en France, est largement ignorée des politiques et du public où toute une série de clichés tiennent lieu de savoir.
La démographie est pourtant la plus rigoureuse des sciences humaines, même si elle ne l’est pas autant qu’on le souhaiterait.
Elle est aussi très polluée par le « politiquement correct », qui a entrainé le déclin de l’INED, jadis institution de référence dans le monde.
Le grand paradoxe, si l’on examine la population des différents continents, sur plusieurs siècles est que
– la population mondiale n’a cessé d’augmenter depuis le XVIIe siècle.
– le taux de fécondité est presque partout en baisse depuis plusieurs siècles en Europe, depuis une date plus récente hors d’Europe, à des degrés inégaux.
Comment expliquer ce paradoxe ? Par le rôle de la mortalité, spécialement périnatale et infantile, qui a connu une chute progressive depuis le XVIIIe siècle en Europe (et pays assimilés : États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande) et brutale à partir du milieu du XXe siècle dans le reste du monde.
Pour ce qui est de la résultante de ces tendances, je dirai que nous vivons dans un siècle de transition ente le XXe siècle qui a connu une croissance démographique sans précédent et le XXIIe siècle qui verra très probablement le déclin de la population mondiale. Bref, la population suit une courbe de Gauss (ou une parabole inversée) où nous nous approchons du sommet. Les problèmes ne viennent pas de divergences dans ces évolutions mais de décalages de calendrier importants entre les continents.
La population mondiale n’a cessé de croitre et croit encore, quoique moins vite qu’au siècle dernier :
Très faible au paléolithique (100 000 homme sur la terre ?), elle explose au néolithique (passage des chasseurs-cueilleurs aux cultivateurs-éleveurs), elle est stable de l’Antiquité jusque vers 1650, avec des hauts et des bas variables selon les continents.
Elle connait en Europe une hausse lente de 1650 à 1950 tandis que le reste du monde continue à stagner. Cette hausse lente permet la colonisation européenne de l’Amérique du Nord et d’autres lieux.
À partir de 1950, la population mondiale explose, principalement dans Tiers monde. Il lui avait fallu des milliers d’années pour arriver à 2,5 milliards (1,5 milliard en 1900). Entre 1950 et 2000, elle passe de 2,5 milliards à 6 milliards. Aujourd’hui, 7, 5 milliards.
Le taux de croissance maximum (+ 2 % par an) est atteint vers 1970 ; depuis, il connait une lente diminution (+ 1,1 % par an aujourd’hui).
Le maximum devrait être atteint vers 2060–2080 autour de 10 milliards d’hommes (estimation que la Division de la population de l’ONU ne cesse de réviser à la baisse)
Ensuite la population baissera partout.
Le principal problème ne vient pas de ce qu’il y aurait divergence dans ces évolutions mais de ce qu’il y a des décalages importants de calendrier qui entrainent des déséquilibres majeurs entre les continents et les pays.
L’Europe :
La baisse de la mortalité y commence vers 1750 ( fin des grande famines qui tuent, puis , un siècle plus tard des disettes qui font souffrir mais ne tuent pas, au moins en France ) , cela en raison des progrès agricoles ( première révolution agricole au XVIIIe siècle : assolement, usage du fumier, pomme de terre etc.) .
La baisse de la fécondité avait commencé en Europe au temps de saint Louis avec la hausse de l’âge des femmes au mariage de 15 à 25 ans.
Le contrôle de naissances proprement dit commence en France vers 1750 ( à cause de la philosophie des Lumières ?). Pour le reste de l ’Europe , il ne commence que vers 1880. Ce décalage est essentiel. Il a fait perdre à la France – et à la langue française – sa prééminence. La France du XIXe siècle n’avait aucun surplus pour participer à la colonisation de l ’Amérique.
La baisse de longue durée de la fécondité connait dans une partie de l’Occident une rémission temporaire, dont il ne faut pas exagérer l’importance : le baby-boom qui va de 1945 à 1965 environ. La fécondité qui était proche de 2 enfants par femme avant-guerre, remonte temporairement à 3 en France, à 3,3 aux EU, 3,8 au Canada) mais cela ne touche guère les vaincus (Allemagne, Italie).
À partir de 1964, la fécondité reprend le train de la baisse dans tout l’Occident : la diffusion de pilule en est-elle la seule cause ? Une baisse analogue était intervenue dans les années trente sans contraception chimique ; en matière de fécondité, la volonté est plus déterminante que les techniques.
À partir de 1975, la France est passée au-dessous du seuil de renouvellement des générations qui est de 2,1 enfants par femme. Les autres pays occidentaux, le Japon et la Russie aussi, un peu plus tôt, un peu plus tard.
2,1 = 1 pour le père + 1 pour la mère + 0,1 pour tenir compte de l’excédent biologique des garçons et de la mortalité infantile ; dans les pays arriérés, le taux est de 2,2 / 2,3.
Taux de fécondité = nombre moyen d’enfants par femme ; se mesure pour une génération ou se construit pour une année donnée (indice synthétique de fécondité).
Taux de natalité = Naissances annuelles / Population totale = Taux de fécondité x Part des femmes fécondes dans la population totale.
Nous ne sommes jamais revenus au-dessus du seuil de renouvellement. La France a paru un moment touchée moins gravement que les autres pays ; ce n’est plus guère le cas, surtout si on ne considère que les Français de souche, donnée difficile à mesurer, tombés probablement à 1,4.
Certains pays « blancs » qui étaient tombés très bas ont vu leur taux de fécondité remonter récemment : Russie, Allemagne, Italie mais pas assez, ni près, pour revenir au niveau de renouvellement des générations. Id. pour la Chine.
Cette évolution relativise la notion de « transition démographique », répandue dans l’opinion. L’idée de transition est qu’à un équilibre ancien : niveau des décès et niveau de naissances élevés qui assurait le maintien de la population, devait se substituer un équilibre moderne : niveau des décès bas et des naissances à 2,1 assurant aussi le maintien de la population. On n’observe à ce jour nulle part ce retour à l’équilibre.
Nous retrouvons ainsi le schéma exposé par Adolphe Landry en 1934 dans son livre La Révoltons démographique : selon ce grand démographe, ministre radical et président du conseil général de la Corse, la modernité entrainera la disparition lente et sûre de l’humanité.
Deux ou trois générations au-dessous du seuil de reproduction, et la population d’un pays s’effondre. En Europe occidentale, nous sommes sur cette pente : d’ici 2050, la population européenne ne peut désormais se maintenir ou augmenter que par l’immigration.
Le reste du monde :
Du XVIIe siècle au milieu du XXe siècle, la population du Tiers monde stagnait tandis que la population européenne croissait. C’est l’arrière-fond de la colonisation.
Depuis 1950, c’est l’inverse. C’est l’arrière-fond de la décolonisation.
Pourquoi ?
À partir de 1950, la fécondité des pays pauvres se maintient au niveau ancien, élevé.
Au même moment se produit vers 1950 un effondrement brutal de la mortalité. Cela en raison des progrès médicaux et des efforts considérables accomplis par les puissances coloniales pour améliorer l’hygiène avant leur départ (nous sommes loin des crimes conte humanité évoqués par Macron). La cause principale en est la fin des grandes épidémies grâce aux vaccins.
La baisse de la fécondité, en revanche, est, elle, très progressive :
Elle se produit à retardement, ne commençant que vers 1970, le temps que les populations et leurs gouvernements prennent conscience qu’il ne fallait plus autant d’enfants pour maintenir la population.
Elle est inégale dans son calendrier. Cette inégalité est, on l’a dit, essentielle.
Faisons le tour de tous les continents :
L’Asie, partie avec une croissance très rapide, connait depuis environ 1980 une baisse tantôt stimulée par l’État (politique de l’enfant unique en Chine), tantôt issue de populations elles-mêmes : Indonésie, qui amène progressivement les pays, les uns après les autres, au-dessous du seuil de reproduction.
Mais là aussi certaines inégalités de calendrier ont de lourdes conséquences géopolitiques. La Chine est à 1,8 (elle était tombée à 1,6), l’Inde à 2,3. De ce fait, la population de l ’Inde sera bientôt plus importante que celle de la Chine : aujourd’hui, elles sont à égalité à 1 milliard et demi d’habitants. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la Chine a abandonné ses pressions en faveur de l’enfant unique – mais les habitudes sont prises. L’Inde passera au-dessous d’une fécondité de 2 assez vite mais entre temps, elle aura pris de l’avance sur la Chine.
(Pierre Chaunu disait que la Chine représentait depuis 3000 ans entre 1/3 et 1⁄4 de la population mondiale – parfois moins comme entre 1900 et 1950 ou elle était plongée dans les guerres, les famines et les épidémies, parfois plus comme depuis 1950).
Au total la population de l’Asie, déjà stable, ne va pas tarder à baisser.
En Amérique, la baisse de la fécondité puis de la population, est entamée presque partout. Les États-Unis qui avaient remonté vers 2000 au niveau de reproduction (2,1) sont retombés à 1,8. Le Brésil, jadis si fécond, est à 1,7.
Asie et Amérique n’auront pas d’impact sur l’Europe (sauf peut-être le Pakistan où, quoiqu’en baisse, la fécondité demeure élevée).
L’Afrique présente un panorama très différent.
La fécondité y est aussi en baisse depuis 1980 mais très à retardement.
Pour tout le continent, elle est descendue de 7 à 4,5 enfants par femme ; pour l’Afrique noire (dite subsaharienne) de 7 à 4,9.
En prolongeant les courbes, on arrive à 2 vers 2060 ; la population africaine devrait atteindre son maximum vers 2080.
(Noter le cas exceptionnel du Niger, seul pays au monde où la fécondité qui est encore de 7 n’a jamais baissé.)
Entre temps, le poids relatif de l’Afrique dans la population mondiale et au sein l’ensemble Eurafrique va augmenter considérablement :
Jusqu’où ira-y-elle ? Passée en 40 ans de 0,5 à 1,25 milliard ira-t-elle jusqu’à 2,5, 3 ou 4 milliards (soit 25, 35 ou 40 % de la population mondiale) ? Tout dépend de la vitesse de baisse de la fécondité.
Voyons plus particulièrement le monde musulman :
Il est, comme on le sait, à cheval sur l’Asie et l’Afrique (et même l’Europe).
Il connait une baisse générale de la fécondité depuis 1980. Baisse particulièrement spectaculaire en Iran : de 7 enfants par femme à l’arrivée du régime des mollahs à 1,7 aujourd’hui.
Mais un phénomène étonnant dont personne ne parle se manifeste depuis 2015, surtout en Afrique du Nord : la fécondité repart à la hausse en Égypte, en Algérie, au Soudan ; sa baisse est arrêtée au Maroc et dans plusieurs pays du Sahel.
Les causes ? Selon l’INED, la baisse du travail des femmes, ce qui parait assez fantaisiste. Il n’est pas question dans cette analyse de l’islamisation, proportionnelle à la crise économique puisque les Frères musulmans assurent seuls la solidarité populaire.
La fécondité de l’Afrique du Nord (Maghreb et Machrek) demeure cependant inférieure à celle de l’Afrique noire.
On peut dire à partir de là qu’il a aujourd’hui deux Islam :
– Un Islam progressif où la fécondité est en train de tomber, parfois très bas :
Liban, 1,5 ; Iran, 1,7 ; Turquie, 2 ; Indonésie, Bangladesh, Asie centrale, Arabie saoudite et émirats, Syrie.
– Un Islam régressif, soit en baisse mais avec un grand retard, soit reparti à la hausse : Maghreb, Machrek, Palestine, Pakistan, Irak (où les malheur de la guerre ont faire remonter la fécondité au-dessus de 4), Pakistan, plus deux pays en guerre, l’Afghanistan et le Yémen.
– Ceux qui hésitent : Maroc, Jordanie.
L’islam régressif correspond à peu près à l’Islam arabe, sauf les pays du Golfe où l’argent transforme peu à peu les mœurs. L’islam progressif recouvre les pays son-arabes, sauf le Pakistan.
Ces considérations représentent une donnée à la fois nouvelle et essentielle, dans une région trop limitée certes pour influencer l’évolution planétaire mais essentielle pour l’Europe et singulièrement la France.
Que faut-il penser du face à face Europe/Afrique ?
Le contraste entre la démographie de l’Asie et celle de l’Afrique apparait comme le principal problème de géopolitique des populations à l’échelle de la planète, sachant que l’Asie et l’Amérique représentent aujourd’hui des zones neutres.
Que faut-il en penser ?
1. La croissance démographique de l ’Afrique est inévitable à moyen terme. Même si la fécondité baisse plus que prévu, le nombre de femmes en âge d’être fécondes a un effet d’inertie qui maintiendra une natalité élevée ;
2. Les influences extérieures n’ont pas d’impact sur le taux de fécondité : puisqu’elle est déjà en baisse, il faut la laisser suivre sa pente. Seule la scolarisation ( qui rend la main d’œuvre infantile indisponible) peut avoir un impact ;
3. Il y a encore de la place en Afrique :
Ex. La Centrafrique : 623 000 km2, à peu près fertiles, seulement 4,5 millions d’habitants.
Densité comparées :
Afrique : 40 (sans le Sahara, 60) ; Pays-Bas : 400 ; Allemagne : 240, Royaume-Uni, Italie : 220 ; France : 120.
4. Le développent économique de l’Afrique est nécessaire mais il est illusoire de penser qu’il ralentira les migrations, au contraire : la multiplication des échanges multipliera les allées et venues.
5. Les filières sont plus décisives que la simple considération d’effets de vases communicants. La guerre de Libye a ainsi ouvert une filière où se sont engagés massivement des migrants que des passeurs sont allés chercher. Mais les filières ne se sont ouvertes que quand les puits de pétrole ont fermé : les trafiquants ont cherché alors des ressources de substitution. Le Nigéria qui peut été considéré comme surpeuplé ne nous envoie presque personne. Le Sénégal, au contraire, qui n’est pas en guerre nous en envoie beaucoup de « réfugiés ».
6. L’immigration n’est pas le seul problème qui se pose à nous : le différentiel de natalité entre indigènes français et immigrés est aussi préoccupant. Macron, en soumettant les prestations familiales à des conditions de ressources les a pratiquement réservées aux populations immigrées.
7. Il est difficile de connaitre le nombre exact de musulmans en France mais le pourcentage des populations d’origine africaine monte de 0,4 à 0,7 % par an. Pourra-t-on éviter de graves affrontements intercommunautaires une fois atteint un certain seuil ?
8. Le principal problème n’est pas la difficulté de contrôler les migrations. Les gouvernements qui le veulent vraiment en trouveront les moyens. Mais aujourd’hui personne ne le veut vraiment en Europe de l’Ouest : l’ONU, l’UE, le FMI, l’OMI, la Banque mondiale, Davos, les Églises, le gouvernement français et, avant Trump, le gouvernent américain, brefs tous ceux qui dirigent le monde, sont philosophiquement favorables aux migrations. Comment, dans un tel contexte, imaginer une politique efficace de contrôle ? Il le faudra bien pourtant.
9. Tous ces organismes (et une grande partie des médias) sont victimes :
a) d’une illusion technocratique : les immigrés vont équilibrer la pyramide des âges et payer les retraites, hors de toute considération culturelle;
b) d’une illusion idéologique : le brassage des populations va faire disparaitre le racisme et le nationalisme ; le simple bons sens conduit au contraire à penser qu’il conduira à la guerre de tous contre tous.
Dernière question : et qu’adviendra-t-il après 2100 ? Jean Bourgeois-Pichat, le successeur d’Alfred Sauvy à la tête de l’INED, dans une fameuse courbe qui figure en annexe, publiée dès 1988, a prédit la disparition de la population européenne, puis africaine, puis, vers 2400, de l’humanité. Jusqu’ à ce jour les choses se sont passées comme il l’a prédit.
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