Les objectifs d’une politique de l’énergie

Séminaire du 15 décembre 2016. Intervenants : Olivier Appert, Pascal Colombani, Christian de Perthuis, Claude Mandil, Guillaume Schlumberger. Modérateurs : Henri Conze, Alexandre Rojey.

ENERGIE

7/7/20248 min read

Dix ans après le séminaire sur l’énergie organisé à l’Assemblée Nationale par le Forum du Futur, un nouveau séminaire rassemblant à peu près les mêmes intervenants s’est tenu au Palais du Luxembourg. Cette note reprend les principales interventions et les convergences apparues lors des débats.

Dix ans après

Depuis dix ans, trois facteurs (« game changers ») ont changé la donne : l’émergence des hydrocarbures non conventionnels ; le printemps arabe devenu « hiver », qui a déstabilisé les pays producteurs fortement exportateurs; Fukushima qui a fragilisé le nucléaire. Les facteurs internationaux, qui jouent un rôle de plus en plus essentiel, sont le plus souvent imprévisibles, alors que le domaine de l’énergie, ne serait-ce qu’en raison des investissements considérables à y réaliser, se caractérise par une très grande inertie.

Comme il y a dix ans, nous parlons surtout de l’électricité. Mais elle ne représente que 23% de l’énergie consommée en France, une raison à cela étant, incontestablement, la sensibilité politique du nucléaire. Dans ce domaine de l’électricité, l’attitude de l’Etat n’a pas changé : l’Etat stratège a laissé la place à un Etat « politique » se préoccupant essentiellement du court terme.

Depuis dix ans, nous assistons à une transformation rapide du contexte énergétique, en raison des nouvelles contraintes liées au réchauffement climatique ou des changements intervenant dans la structure de l’offre et de la demande. Pour s’adapter à cette transformation, il faudrait impérativement:

– prendre conscience que les énergies fossiles continueront encore longtemps à jouer un rôle majeur s’il n’y a pas une volonté très forte de vouloir renverser la tendance,

introduire véritablement une valeur économique liée au climat et, pour cela, faire des choix clairs au niveau européen sur les quotas ou la taxe dite carbone,

mettre un terme aux absurdités du prix du marché dues à la politique d’insertion des renouvelables sur ce marché (obligation d’achat à un tarif imposé). Il s’agit de rendre l’organisation du marché compatible avec les mesures environnementales (prix du carbone, subventions en faveur des énergies renouvelables, etc.). Cela demande un grand courage politique !

La transition énergétique

Les deux mots « valise » de transition énergétique recouvrent des notions différentes, ce qui peut conduire à des malentendus. Pour beaucoup, c’est le cas des pays émergents ou qui veulent émerger, il s’agit de disposer de beaucoup plus d’énergie afin de pouvoir produire plus et donc consommer plus. Pour nous, il y a quelques années, deux objectifs pouvaient, en principe, être recherchés, d’une part l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique, d’autre part la nécessité de faire face à l’épuisement des ressources qui semblait relativement proche. Or, la France et l’Europe les ont confondus en pensant que le développement hâtif des énergies renouvelables allait répondre à ces deux préoccupations dont les calendriers sont distincts. En raison de cette orientation, accompagnée d’un niveau de dépenses que d’aucuns pourraient juger « scandaleux », toutes les autres voies, comme la capture du CO2, le nucléaire futur, l’efficacité énergétique, etc., ont été négligées, avec comme résultat l’effondrement des prix du marché de gros de l’électricité en Europe, la hausse importante du prix de l’électricité payée par le particulier et l’absence de signaux sur le long terme !

Aujourd’hui, nous constatons que le « peak oïl », le « peak gas » ou le « peak uranium » n’interviendront sans doute que dans très longtemps ! Dans l’immédiat, il s’agit de faire face aux priorités environnementales, c’est-à-dire s’accorder sur un prix du carbone élevé, et de lancer un effort de R&D important consacré d’urgence et sans tabous à la recherche des solutions les moins coûteuses. Or, nos orientations actuelles ne prennent pas en compte les notions de coût, ce qui conduit à dépenser sans compter ! En France, le prix à payer pour la politique concernant les énergies renouvelables est, au moins, de 10 milliards d’euros par an. Il est de 25 milliards en Allemagne ! Ce sont, évidemment, les citoyens qui supportent le poids de ces sommes énormes, qui manquent au développement de l’économie. Dans le même temps, on parle, malheureusement trop peu de domaines comme la biomasse et l’efficacité énergétique ou de questions que l’on a trop tendance à négliger comme la rareté de certains matériaux utilisés dans les panneaux photovoltaïques, la pollution induite par leur mise en œuvre ou par les futurs démantèlements, etc. Il faudrait disposer d’une vision sur le cycle complet de ces énergies, mais aussi considérer que l’Europe subventionne l’Asie en important à peu près tout ce qui correspond aux investissements réalisés dans les énergies renouvelables, sauf, évidemment la part des services.

Peut-être que l’idéologie a une trop grande influence sur les orientations prises en matière de production d’énergie, nous conduisant, malheureusement, à un certain manichéisme, hier le nucléaire, aujourd’hui les renouvelables. Un exemple intéressant de stratégie dans le secteur de l’énergie nous est donné actuellement par l’Afrique du Sud qui définit sa stratégie dans ce domaine. Pour des raisons de souveraineté, car l’énergie est qu’on le veuille ou non une question de souveraineté, ce pays a choisi de diversifier ses sources d’énergie, y compris en développant aussi son énergie nucléaire. Posons nous la question : « prendrions-nous aujourd’hui la même décision que celle prise au moment du premier choc pétrolier ? ». La réponse est que, très probablement, nous choisirions un bouquet énergétique, comprenant certes le nucléaire, mais aussi d’autres sources.

L’Europe

Pourquoi a-t-on, à juste titre le sentiment que l’Europe n’a pas de politique de l’énergie ? La politique européenne dans ce domaine, comme dans d’autres, peut-être qualifiée « d’oxymore » : des orientations sont prises, immédiatement édulcorées, affadies, contredites par d’autres décisions leur ôtant toute pertinence. Deux exemples : l’ouverture du marché de l’électricité immédiatement suivie par la liberté des nations concernant leur « mix » énergétique, leur politique tarifaire, celle sur les énergies renouvelables, etc. ; l’incompatibilité des règles actuelles du marché de l’électricité avec l’objectif des 3×20% en 2020 décidé il y a dix ans pour lutter contre le réchauffement climatique.

En outre, l’approche par la Commission de Bruxelles est beaucoup trop technocratique. C’est le cas, en particulier, dans le domaine de la fixation des quotas de CO2 ; la position des pays de l’Est de l’Union conduit à des compromis qui complexifient la règlementation et la rendent inapplicable. Il est grand temps de reprendre ce dossier sur la base d’une politique globale cohérente ! L’approche suivie peut être aussi trop dogmatique, comme on peut le constater concernant la position de prise sur les contrats d’énergie à long terme : comment les bannir dans un marché que l’on veut libéraliser ? Privilégier systématiquement le marché spot peut être préjudiciable à long terme.

Cette situation, faite d’incohérences ou de blocages, ne va-t-elle pas pousser certains pays à faire, pour l’énergie, comme les Anglais et sortir du carcan européen afin de décider une politique énergétique plus cohérente (quotas, tarification, incitations, etc.) tout en recherchant à améliorer la compétitivité de leurs entreprises ? Il faut bien constater, en effet, que ce que va pouvoir faire la Grande-Bretagne, après le Brexit, en matière d’énergie, ne peut se faire à 27 ! Nous ne pourrons aujourd’hui décider en commun une taxe sur le carbone sans l’accord de tous ; la conséquence est claire, il n’y aura pas de taxe ! Peut-on la remplacer par la fixation d’un prix plancher ? Par une tarification fondée sur la puissance installée et non seulement sur la consommation ?

Le nucléaire

Nous connaissons les difficultés de l’industrie nucléaire française, celles du développement et de la construction des réacteurs l’EPR, etc. L’une des raisons de cette situation est liée au départ de ceux qui « savaient », le dernier réacteur français ayant été mis en service en 1997. Les Etats-Unis connaissent ce même phénomène : ils avaient décidé il y a quelques années, longtemps après l’accident de Three Mile Island, de reprendre un programme électronucléaire ; le développement de l’exploitation des schistes a mis un frein au nouveau développement des compétences dans le domaine nucléaire et reporté les décisions à bien plus tard.

L’inflation des normes de sureté soulève aussi de très grandes difficultés dont la conséquence est un coût de l’énergie nucléaire de moins en moins compétitif par rapport aux autres énergies. N’oublions pas que l’énergie nucléaire ne peut se développer que dans un environnement stable aux plans politique, financier, règlementaire, etc. : un réacteur peut fonctionner au moins cinquante ans et toute transformation en cours de vie est extrêmement lourde ; cela demande donc durant toute la durée de vie d’un réacteur la mise en œuvre d’une politique de mise à niveau stricte. L’industrie nucléaire française a rencontré ces dernières années un certain nombre de difficultés. Il faut espérer qu’elle les surmontera et trouvera dans sa nouvelle configuration les conditions favorables à son développement, bien qu’elle ait à faire face à de nouveaux entrants tels que la Russie, qui se voudrait le numéro un mondial, en attendant la Chine et son programme de construction local impressionnant. La France et ses concurrents traditionnels (USA, Japon) sont encore de loin les plus expérimentés et les plus fiables. Notons qu’il nous faudrait relancer un effort en matière de recherche et développement (traitement des matériaux, stockage des déchets …).

S’agissant de la fusion contrôlée, il faudra probablement au moins deux siècles pour qu’elle soit un outil de production économiquement viable.

Géopolitique et défense

Parmi les préoccupations de géopolitique et de sécurité, l’énergie revient sur le devant de la scène. D’une part, en raison de la transformation de la demande car les pays de l’OCDE ne pèsent plus vraiment par rapport à la Chine aujourd’hui, l’Inde demain et l’Afrique après demain, d’autre part, parce que ce secteur vital est susceptible d’être de plus en plus gravement mis en péril par des actions hostiles.

L’énergie et son prix ont un impact fondamental sur les pays producteurs à régime autoritaire. Cela est évident s’agissant des exportations d’armement, mais aussi de l’importance de couloirs stratégiques de communication et d’approvisionnement, d’infrastructures qui se peuvent se développer ou disparaitre (pipelines ; gazoducs ; etc.) au gré des convergences ou des divergences de partenaires potentiels, de la vulnérabilité des détroits, etc.

Daesh est un exemple frappant : son financement tient en bonne partie à sa capacité d’extraire et de raffiner de façon artisanale le pétrole disponible dans les zones sous son contrôle. En contrepartie, Daesh a par là même développé une vulnérabilité que ses adversaires ont bien comprise, leur priorité étant donnée depuis deux ans aux frappes aériennes susceptibles de ralentir ou d’annihiler ces capacités de production, donc de financement.

Le secteur de l’énergie est donc très vulnérable Il devient une cible de plus en plus privilégiée par tout agresseur : menaces sur les infrastructures comme on l’a vu au Yemen ou en Algérie ; intérêt de mouvements terroristes à l’égard des centrales nucléaires ; agressions cybernétiques (ex : Ukraine) ; découverte des effets environnementaux d’accidents voulus ou non sur les transports (ex : l’accident d’un train transportant du pétrole de schistes au Canada) ; etc.

Questions ouvertes

– Il faut bien constater que ce que va pouvoir faire la Grande-Bretagne, après le Brexit, en matière d’énergie, ne peut se faire à 27 ! Nous ne pourrons décider en commun une taxe sur le carbone sans l’accord de tous. La conséquence est qu’il n’y aura sans doute pas de taxe européenne! Peut-on prévoir une taxe qui soit simplement nationale, à l’instar de ce qui a été fait en Suède ? Il s’agit dans ce cas d’éviter les distorsions de compétitivité. Peut-on la remplacer par la fixation d’un prix plancher sur le marché des permis d’émissions? Ces questions restent ouvertes.

– Comment financer les investissements nécessaires à horizon de vingt ans s’il n’y a pas une régulation du marché de l’énergie, seul moyen de redresser sa rentabilité ?

– La question se pose de la volonté des pays émergents, en particulier la Chine et l’Inde, de jouer « le jeu » en matière de lutte contre le réchauffement climatique. L’Europe ne fait-elle pas preuve de naïveté ? On peut toutefois penser que le développement de la pollution dans ces pays est tel qu’ils seront de toute façon contraints de réduire leur consommation d’énergie fossile.

– Quelles seront les conséquences de l’élection de Donald Trump en matière de politique climatique et de choix énergétiques ?