L'Europe peut-elle avoir une politique extérieure commune ?

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UNION EUROPÉENNE / ZONE EURO

Par Frédéric GRASSET

7/7/202417 min read

Je crois qu’il faut commencer par un peu d’histoire. Le concept est à la fois tellement évident et en même temps tellement complexe qu’on peut se demander pourquoi il ne marche pas.

Le titre proposé supposait que l’Europe était chose acquise et il incitait à s’interroger alors sur sa capacité à s’imposer diplomatiquement sur la scène internationale. Je pense qu’il faut démultiplier la question :
1. La construction européenne est-elle toujours un objectif de la diplomatie de chacun de ses membres ?
2. L’Europe (UE), dans son état actuel, est-elle un acteur décisif sur la scène internationale ?

Ces deux points sont liés mais ne se situent pas au même niveau d’analyse.
• L’UE actuelle a-t-elle cette capacité ?
• L’UE actuelle en a-t-elle la VOLONTÉ ?

Le premier est lié à la situation intérieure de chaque état membre.
Le second est dépendant des défis d’aujourd’hui et de la capacité à y répondre.

Nous avons le sentiment, et surtout ici, que nous marchons sur un volcan. On pourrait dire que ce que je vais maintenant développer est « irrelevant » par rapport aux défis extraordinaires auxquels nous sommes confrontés. Mais le monde de la diplomatie n’est pas celui de la magie. Il est l’expression de la puissance ou de l’impuissance. Les propos de diplomates doivent toujours être pris pour ce qu’ils sont. Ils ne sont pas es affirmations mais des constatations. Le diplomate ruse en permanence.

Première étape : la construction européenne est-elle toujours un objectif ?
L’Europe a été un cheminement graduel, nécessaire. Ce cheminement a modelé le comportement des chancelleries depuis les années 50. Ce fut alors le début d’une sorte « d’âge d’or ». Je l’appelle les trois « R »:
• Reconstruction économique
• Réconciliation franco-allemande
• Réouverture d’une perspective globale

Au sortir de la guerre, et pour nous plus spécifiquement au sortir de la décolonisation, la construction européenne apparaît comme un « substitut de grandeur », un territoire nouveau pour une nouvelle ambition.
C’est une affaire de dirigeants et de technocrates. Ce n’est pas encore une affaire des peuples.
L’émergence démocratique dans ce processus date très clairement du débat sur Maastricht. C’est le grand tournant de l’affaire européenne. Les termes des débats d’alors en éclairent toujours les développements les plus actuels.

Le choix du noyau fondateur a créé un appel, un appétit d’Europe, qui va engendrer tous les élargissements successifs, considérés en soi comme la marque même de la réussite du projet initial.

C’est une dynamique qui court sur une longue période, un demi-siècle. L’appel exercé par la construction européenne a touché TOUS les pays au sortir d’un cycle historique : Ce fut l’Europe méditerranéenne après les dictatures. Ce fut l’Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin.

Ce n’est pas seulement la paix en elle-même, une paix tombée du ciel, que cette dynamique a sauvée. Elle a facilité, sans guerre effectivement, l’émergence d’un « espace ». Peut-être est-ce là justement la raison pour laquelle cet espace n’est pas, n’est pas encore, une « puissance » au sens traditionnel du terme.

La France DEVAIT donc s’impliquer dans un processus dont on mesure rétrospectivement l’importance et la pertinence et dont on mesure aussi aujourd’hui, par comparaison, l’essoufflement.

Dans ce grand mouvement, je donne une mention spéciale à la Grande-Bretagne.
Tout a été dit sur le « cheval de Troie ». Je voudrais pourtant rappeler quelques faits.

Qu’est-ce que l’Angleterre des années 70, c’est-à-dire celle des années où le pays va basculer vers un choix « européen ». L’économie britannique est à la dérive, la société est bloquée, la diplomatie est soumise. On voit la dévaluation de la livre et plane l’ombre du FMI.

Il n’y a pas alors un ambassadeur britannique à Paris qui n’ait envoyé à son gouvernement un rapport envieux et catastrophé sur les succès de la France imputés au volontarisme gouvernemental et à la construction européenne. Londres choisit alors de venir car elle mesure les limites du « splendide isolement ».

Les Anglais sont d’abord pragmatiques :
» C’est une affaire qui marche. Allons-y, à NOS conditions, le véto gaullien ayant été levé, et on verra après ».

On a vu ce qu’il en était depuis !

Les Allemands, qui avaient poussé « à fond » pour l’entrée de la Grande-Bretagne, n’ont opposé qu’une très faible résistance au « chèque » de madame TATCHER.

Dès l’origine, les Anglais avaient averti qu’ils se contenteraient d’un « régime à la carte »: le marché unique essentiellement. Et pour presque tout le reste, il ne faudrait pas compter sur eux. Ni supranationalité, ni institutions contraignantes, et pour la Défense et le Nucléaire encore moins.

La diplomatie française (càd Quai + Élysée) s’est vite reconfigurée pour traiter cette affaire.
Le Quai d’Orsay, contrairement à de mauvaises presses, a joué là un rôle moteur. Il l’a fait dans deux directions :
• Utiliser les demandes d’adhésion comme un moyen d’influence, un levier.
• Préparer sans arrêt l’arbitrage entre une pression fédéraliste et le prima gouvernemental dans chacun des traités successifs : Maastricht, Amsterdam, Lille, Lisbonne.

En déterminant la mesure et le degré d’équilibre entre ces forces. Ce fut une tâche très difficile qui faisait apparaître le Quai comme tantôt trop européen, tantôt pas assez.
Tâche d’autant plus difficile que le partenaire principal, l’Allemagne, gardait sont « quant à soi » et exprimait avec vigueur sa prédominance économique et la liquidation de l’empire soviétique. « Quant à soi » est une expression mesurée pour signifier que le dialogue franco-allemand n’a jamais été de tout repos. Il est en perpétuel ajustement en raison de divergences nombreuses.

La plus profonde, la SEULE qui compte vraiment étant le statut du politique conféré par la puissance militaire. Dès la signature du traité de l’Élysée en janvier 1963, le franco-allemand butte sur la Défense et la garantie nucléaire. C’est le point CLÉ, dont les variations sont un véritable repère dans les relations entre Paris et Bonn/Berlin.

Pour la France, le nucléaire n’est pas seulement l’Ultima-ratio militaire, c’est surtout le signe de sa prééminence dans la conduite de l’Europ et sa capacité à y arrimer l’Allemagne. Là se situe le « cœur » de la conception française de « l’Europe puissance ». On peut immédiatement en déduire que cela est inacceptable pour les Allemands qui ruseront en permanence pour en limiter, supprimer les effets, voire tenter de s’introduire directement dans la chaîne de décision. Ce fut le cas en particulier lors des discussions autour de l’arme nucléaire de théâtre qui ont émaillées la fin des années 80. Pour les Allemands, l’Alliance atlantique, et son bras armé l’OTAN, sont irremplaçables. Ils y jouent un rôle pivot, qui allège et relativise la pression française, donc son influence globale. C’est ainsi une constante de leur politique étrangère.

Derrière chaque binôme emblématique : De Gaulle-Adenauer, Pompidou-Brandt, Giscard-Schmitt, Mitterrand-Kohl et jusqu’à aujourd’hui, ce décalage, qui ne fait pas les gros titres des médias, est probablement une des causes majeures du retard de l’apparition d’une politique extérieure et de sa physionomie actuelle.

Je retiens deux périodes importantes :
La période Pompidou-Brandt :
Elle est maintenant oubliée, bien qu’instructive.
La France d’alors se mit en travers des développements ambigus de « l’Ost Politik » qui liaient la réunification à l’émergence d’une coloration neutraliste dans laquelle la France pourrait néanmoins apporter une garantie nucléaire « acceptable ».

La période Mitterrand-Kohl :
Période inaugurée par le discours devant le Bundestag le 20 juin 1983. Elle part de la crise des euromissiles, où la France a fortement appuyé un chancelier en grande difficulté, pour se prolonger par un dialogue renforcé et des initiatives conjointes.
En 1985, la notion d’intérêts de sécurité communs apparaît pour la première fois dans le langage du dialogue franco-allemand.
En 1987, c’est la première proposition franco-allemande de traité incluant les notions de politique extérieure et de sécurité. Le Chancelier Kohl lance la proposition de la brigade franco-allemande.
Cette accélération, intéressante, n’implique pas un changement sur les positions de fond.

Le bouleversement consécutif à la réunification va rapidement conduire au traité de Maastricht et au pilier PESC, configuré sur un compromis franco-allemand. Les Allemands ont utilisé cette dynamique pour relancer l’Europe à leur profit, avec un fédéralisme accru, tout en maintenant le lien transatlantique. La France voulait continuer à garder un contrôle inter-gouvernemental et continuer sous le couvert d’une diplomatie et d’une défense plus européenne, mais bien française, à encadrer une nouvelle Allemagne en pleine expansion. Le mécanisme de décision dans le traité de Maastricht, et qui sera repris dans le traité de Lisbonne, abolissant la structure en pilier, est l’expression de ce compromis. Il ne faut pas oublier que ce qui fonde aujourd’hui la politique extérieure de sécurité et de défense est ce compromis franco-allemand qui permet Maastricht et qui est reconduit depuis.

Dans ce « désir d’Europe » qui marque cette première étape, chacun a apporté sa propre histoire mais qui n’est pas devenue un acquis communautaire. Verser dans la construction d’une union d’états qui n’est pas elle- même un état deux fonctions aussi régaliennes que la diplomatie et la défense, tout en rappelant que les états conservent une pleine souveraineté sur leurs politiques étrangères et défenses respectives est un exercice particulièrement difficile. Certains diraient même une quadrature du cercle. Ce dessein est le résultat d’une histoire franco-allemande d’apparence linéaire mais de réalités plus chaotiques dont les développements ont eux-mêmes été impactés par l’affrontement USA-URSS et l’effondrement du pacte de Varsovie.

Dans cet « appel européen », il y a eu en réalité deux cheminements :
• L’agrégation de nouveaux états membres, la construction du marché unique et des politiques communes.
• Les orientations stratégiques, définies essentiellement par France-Allemagne. Londres, non pas en cheval de Troie, version Iliade, mais en cheval à bascule avec une remarquable pénétration des institutions communautaires mais finalement peu d’appétence réelle pour le destin de l’ensemble. Le Brexit fait apparaître toute l’étendue de cette contradiction anglaise : une magnifique réussite tactique et financière combinée à une déréliction stratégique et marque bien la différence de nature entre les deux cheminements, celui du commerce et celui de la souveraineté.

De fait, la construction européenne est toujours une priorité mais les termes sont transformés et les centres de gravité du pouvoir restent à définir. On est passé de 6 à 28, puis 28-1, le Monde a radicalement changé en 50ans, la France connait un effacement relatif face à l’Allemagne, l’Europe est probablement elle-même à la fin d’un cycle comparable à celui qui avait touché successivement tous les pays candidats. Ces derniers nous avaient choisis. L’Europe hésite aujourd’hui sur la voie à suivre et les prochaines échéances sont cruciales.

Deuxième étape : l’Europe (UE), dans son état actuel, est-elle un acteur décisif sur la scène internationale ?
Il faut faire maintenant quelques constatations :
La PESC existe (articles 21 & 46 du traité de Lisbonne)
Rappelons pour mémoire que le traité de Lisbonne est une stratégie de contournement après l’échec du referendum français sur le projet de constitution européenne.

La PESC inclut la PSDC, antérieurement appelée la politique européenne de sécurité et de défense. On a changé l’appellation et ce n’est pas innocent. Vous verrez pourquoi.

Ses objectifs sont considérables, il faut sauvegarder des valeurs fondatrices, démocratie, droits de l’Homme, préserver des intérêts, organiser une sécurité, défendre notre indépendance, soutenir le développement durable, la qualité de l’environnement, intervenir dans des catastrophes naturelles & humanitaires, promouvoir l’intégration économique dans le multilatéralisme et la bonne gouvernance mondiale.

C’est beaucoup et cette abondance mérite réflexion.
L’essentiel est-il masqué par l’accessoire, ou bien tout étant mis sur le même plan l’Europe a-t-elle créé une institution inspirée de l’ambition onusienne des débuts avec une vision et des moyens de notre époque mais avec une allonge insuffisante ?

Face aux grands blocs qui se sont reconstitués, les États-Unis, la Chine, la Russie, plus orientés vers la Realpolitik que vers des valeurs ou l’environnement, il faut décider si l’Europe peut traiter tous les sujets de l’agenda qu’elle s’impose en y consacrant 9,6 milliards d’euros, budget du SEAE, et un instrument militaire nourri par des facilités des états membres dont les budgets militaires sont, au mieux et avant Brexit, le tiers du budget de la défense américaine.

L’organisation de cette politique est articulée autour d’un Haut-représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. C’est le fameux numéro de téléphone que recherchait en son temps Henry KISSINGER. On pourrait y a même ajouté un second numéro, celui du président du Conseil européen, le polonais Donald TUSK.

Deux titulaires se sont succédé comme Haut-représentant :
• Catherine ASHTON (2009-2014).
Dernier cadeau, plus terne qu’empoisonné, de Tony BLAIR à l’Europe.
• Federica MOGHERINI (2014-2019).
Hommage rendu à l’expertise et au dynamisme transalpin.

Le Haut-représentant est également vice-président du Conseil européen et dirige le SEAE présent dans 139 implantations et qui est le corps diplomatique de l’Union, à vaste spectre de compétences, puisqu’il met également en œuvre les actions extérieures qui sont du ressort de la Commission.

Je passe rapidement sur l’AED.
Je m’attarde un instant sur un organisme important, le comité politique et de sécurité, le COPS. Il regroupe les ambassadeurs des états membres et joue un rôle central dans la préparation et le suivi des travaux de la PESC. Le COPS « tient la plume » pour les projets de conclusion et exerce, sous l’autorité du Conseil, un contrôle politique et la direction stratégiques des opérations de crise.

Je reviens maintenant sur le mécanisme de prise de décision issu du compromis franco-allemand de Maastricht. C’est le Conseil européen qui identifie les intérêts stratégiques de l’Union et définit les orientations. Le conseil des ministres, quant à lui, élabore la PESC et les décisions conformes aux orientations définies par le Conseil. L’unanimité est la règle. Toutefois, la majorité qualifiée peut être suffisante dans certains cas. On en reparlera tout à l’heure au sujet d’une initiative franco-allemande.

Dans le domaine plus spécifique de la Défense, il faut rappeler la prééminence des efforts nationaux, rappeler aussi, on finit par l’oublier, qu’il existe des états neutres au sein de l’Union et SURTOUT que ce qu’on appelle l’Europe de la Défense n’est pas la défense de l’Europe.

L’objectif de la PSDC est de gérer, résoudre, des crises internationales hors UE avec des moyens limités, quelques groupements tactiques, l’EUROCORPS, les forces maritimes de l’EUROMARFOR… Le bilan est d’ailleurs excellent, avec des opérations essentiellement en Afrique, Tchad, RDC, Mali, la Corne de l’Afrique, la Méditerranée pour des sorties de crises. Il y aussi l’ex-Yougoslavie, la Bosnie, où les Allemands ont pour la première fois envoyé un contingent très important. Le reste est du ressort de l’OTAN. L’UEO consécutives aux accords de Paris, à la suite de l’échec de Communauté Européenne de Défense, a disparu après le traité de Lisbonne. Ce dernier a organisé une clause d’assistance mutuelle pour les membres de l’Union.

La seconde constatation, et qui découle de la première, est que la PSDC est certainement un instrument très favorable mais qu’il est insuffisant et perfectible. Il faut alors, où bien rester dans le cadre des traités, où bien en changer.

Mais on en reviendra toujours au fond : est-ce que des traités, mêmes nouveaux, pourront organiser une vraie Défense et permettre ainsi à l’Europe d’exister.

En posant cette question, je ne veux pas faire le procès préalable du « Soft power », considéré comme l’antithèse du vrai pouvoir. Celui que l’UE exerce à sa manière a des vertus. Pour les partenaires de la politique étrangère et de voisinage, pour les partenaires renforcés, au Sud et à l’Est, l’UE a plus que des attraits. Il est une des conditions de leur stabilité et de leur développement, de même pour l’aide aux victimes de crises, la Syrie en particulier. Celui que l’UE exerce a aussi des tords et des aspérités. Je parle de la politique des sanctions, qui est un élément d’influence sorti des actions militaires. Ce serait ainsi plutôt du « Soft power renforcé », tant sur l’Iran et son programme nucléaire que sur la Russie après le rattachement de la Crimée et sa politique séparatiste sur la frontière est de l’Ukraine.

Ce qui est en cause n’est pas la pertinence du « Soft power » de l’UE mais bien sa capacité à peser en amont sur des situations dont elle aura ensuite à gérer les développements. Les empires frappent, l’UE paye !
L’UE ne peut pas rester le témoin impuissant de situation dont elle devra ensuite réparer les dégâts. L’abnégation du pompier est magnifique, mais il vaut mieux parfois s’attacher à stopper les pyromanes.

Il est évident que le » Soft power » doit passer à une dimension supérieure s’agissant dans un premier plan, et cela est tout à fait dans sa logique même, de l’unilatéralisme commercial, financier et juridique des États- Unis. Mais cela relève plus des souhaits que des réalités des relations internationales.

On voit aussi se dessiner, dans les orientations prévisibles, une mécanique dans laquelle les grands états de l’UE maintiennent encore une politique étrangère traditionnelle et conforme à leurs intérêts, à leur histoire, à laquelle l’Union peut apporter des soutiens et des relais. C’est déjà le cas et cela va se développer dans les années qui viennent. C’est une perspective immédiate avec le départ imminent du Royaume-Uni qui va laisser la France et l’Allemagne comme toujours en première ligne. Elles peuvent s’entendre, soit pour maintenir un statu quo prudent, soit pour peser sur l’avenir de l’union autant comme institution que comme outil de défense et de sécurité. Cette question sera peut-être plus difficile à traiter à Berlin qu’à Paris.

La décennie qui vient de s’achever à confirmer l’Allemagne dans ses choix et ses certitudes. Par ailleurs la première ligne de défense s’est déplacée et se trouve désormais à la frontière polonaise et dans les pays baltes. La Pologne a pris le relai et avec que zèle pro-américain ! L’Allemagne n’est plus le terrain de la première bataille.

L’OTAN assure la garde et le fardeau. S’il faut dépenser plus, pour qui le faire ?
Pour l’OTAN aux missions étendues, au-delà de la zone Atlantique nord, depuis le sommet de Prague en 2002, ou bien pour la défense de l’Europe ?

C’est là que se pose le problème de la stratégie vers laquelle l’UE doit se tourner.
Nous sommes configurés aujourd’hui pour une menace russe qui revient avec les développements liés à la Crimée et à l’Ukraine. Nous sommes configurés pour quelques actions au Proche et Moyen Orient et autour de l’Afrique, mais la réponse stratégique de l’UE vis-à-vis de la Chine n’existe pas!

La relation de l’OTAN et de l’UE est importante parce qu’il va dépendre pour un pan entier des relations internationales de l’impulsion et des animations que voudront bien lui donner les États-Unis. Il est très important que nous nous fassions une religion formée sur cela bien avant que ceci ne se produise, ce qui ne tardera pas et notamment lorsque les États-Unis seront dans une phase de confrontation plus active avec la Chine. Il faudra avoir une vision stratégique européenne d’autant plus importante que nous commencerons alors à dépendre de plus en plus des produits d’importation chinois dans des domaines de poids et notamment celui de l’énergie.

Quand on regarde tout cela, on voit également que les élargissements et l’Euro ont mis l’Allemagne au centre du jeu européen dans lequel les opinions publiques n’accordent pas toujours à la Défense une priorité absolue, et encore moins aux opérations extérieures qui ne seraient pas strictement conformes à des intérêts nationaux évidents. Vous voyez donc qu’entre l’élargissement de la menace et la rétractation de la légitimité des actions guerrières en dehors des frontières, on a une contradiction qui sera très difficile à traiter. Peut- être, et c’est un point clé, que cette contradiction touchera plus vite l’Allemagne que d’autres pays. Il faut en discuter absolument avec les Allemands pour éviter les mauvaises surprises. Elles se produiront certainement un jour ou l’autre.

On voit également que, dans le couple franco-allemand, la vision allemande de la France a beaucoup changé. Paris a rejoint l’OTAN, mais sans abandonner le prima nucléaire. Je pense donc que vis-à-vis de l’Allemagne la situation est aujourd’hui plus confortable pour rechercher en commun un surcroît d’Europe de la Défense.
Cela est d’autant plus facile à équilibrer pour Paris que Londres restera liée avec la France à travers le traité de Lancaster House. Une des raisons essentielles pour lesquelles la France a signé cet accord est qu’il y avait l’apport dans cette coopération d’une force nucléaire. La France ne voulait pas se retrouver dans une coopération élargie au sein de l’Europe la seule puissance nucléaire par rapport à un ensemble » hostile ». En effet, l’ensemble des membres de l’UE aujourd’hui n’est pas favorable à la puissance nucléaire qu’ils souhaitent laisser aux États-Unis. Il n’est pas non plus favorable à la puissance nucléaire française car ils ne veulent pas qu’elle serve de garantie à la sanctuarisation du territoire de l’UE. Ils acceptent, tolèrent, la sanctuarisation par la France de son territoire propre, mais pas au-delà. On ne parle pas de l’usage possible du nucléaire comme outil militaire au sens strict, dans un possible cas d’assistance mutuelle, mais du nucléaire comme outil de dissuasion politique. Il est donc, pour la France, très important de garder une relation spéciale avec les Anglais sur ce sujet.

On observe pourtant, entre la France et l’Allemagne, un commencement de réponse. Et comme toujours, lorsqu’il y a une réponse franco-allemande à un problème inextricable, un mouvement des autres se produit.
Les conclusions du Conseil européen du 14 décembre 2017 qui a officialisé ce qu’on appelle une coopération structurée permanente (CSP), mécanisme prévu par les traités, pour la constitution d’un noyau dur en matière de Défense. Et cette CSP a été bâtie intellectuellement et politiquement sur les critères du conseil des ministres franco-allemand de juillet 2017. Il y a un niveau d’effort de défense porté à 2% du PIB… etc.
C’est un signal positif et probablement un nouveau départ franco-allemand.

Deux remarques :
• Ni la France, ni l’Allemagne, ne s’intéresse plus aujourd’hui aux batailles des années 50.
Ce qui les intéresse ce sont les armements du XXIème siècle. Je pense que, même si nous sommes en concurrence sur des marchés d’exportation, nous pouvons avoir un dialogue important sur financement et construction de notre défense future.
• Il est intéressant de regarder d’où est venue l’opposition à cette CSP.
L’opposition est venue des nouveaux membres : Suède, Pays-Bas, mais surtout Pologne, République tchèque et bien sûr mais c’est à part le Royaume-Uni.

L’élément nouveau et important fut que le mécanisme de vote au Conseil, qui était prévu et organisé depuis le traité de Lisbonne, a permis de passer outre ces oppositions par le moyen de l’utilisation de la majorité qualifiée. Autrement dit, l’Allemagne, la France et l’Espagne se sont entendues et ont ainsi créées une majorité suffisante pour adopter cette CSP.

Restera pourtant à limer des divergences diplomatiques qui ont souvent émaillées le dialogue franco- allemand, sur les Balkans, parfois le Proche-Orient, la Turquie…

Vis-à-vis de la Russie, les choses restent complexes. Berlin a ses tropismes, nous avons les nôtres. Il est évident que le changement de dimension de l’Allemagne lui a conféré un rôle accru. Il est essentiel qu’il profite d’abord à l’Europe. Il est essentiel que la France fasse les efforts supplémentaires pour pouvoir peser de façon significative dans ce dialogue.

Je voudrais revenir sur un sujet important que je n’ai pas encore évoqué : l’immigration.
C’est un sujet qui est à la confluence des affaires intérieures de l’Union, des relations bilatérales des états membres entre eux et avec l’extérieur.

Ce n’est théoriquement pas un sujet de PESC. Elle n’entre pas dans les articles du traité de Lisbonne.
C’est pourtant devenu un sujet majeur qui affecte la politique étrangère de l’UE et son équilibre politique.

On a vu madame MERKEL agir seule vis-à-vis de la Turquie, et avec quelles conséquences. Il y a d’autres exemples mais je ne m’étends pas dessus pour l’instant. L’Italie et son ministre de l’Intérieur, monsieur SALVINI, sont en conflit verbal violent avec Paris, et monsieur ORBAN multiplie les occasions de marquer sa différence avec ses partenaires.

Les compromis sont difficiles à négocier. Mais on y arrive quand même. Mais ils ne tiennent pas longtemps.

L’immigration est devenue un marqueur de l’état de l’Union.
Plus que la relation avec la Russie, sauf peut-être pour Polonais et Baltes.
Ce n’est pas un sujet de chancelleries, mais un sujet d’opinions et de débats sur les valeurs. Il rejoint, sans lui être strictement comparable, le problème posé par la procédure article VII contre la Pologne et la Hongrie.
Je laisse donc à votre réflexion personnelle et un éventuel débat, le soin d’apporter plus de lumière, mais je crois que le temps nous est compté.