L’institution n’est plus capable de diriger la politique monétaire
UNION EUROPÉENNE / ZONE EURO
par Markus C. Kerber Professeur à la Technische Universität de Berlin et à l’École d’économie de Varsovie
7/7/20243 min read
Les banques centrales fondent leur monopole et leur indépendance sur des décisions démocratiques, proclamant que chaque banquier central doit avoir pour ambition inaliénable de maintenir à flot le système financier. Le postulat de l’indépendance à l’égard des gouvernements et des autres organes démocratiques est régulièrement répété par le président la BCE. Mais l’équilibre empirique entre sa politique et son développement institutionnel conduit à se demander si l’indépendance est la condition appropriée et suffisante pour garantir le respect par la banque des buts et limites de son mandat.
Le système électoral du Conseil des gouverneurs repose sur le principe « un homme, une voix ». Devrait-il y avoir des droits de vote égaux entre les représentants de pays aussi différents que l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne d’un côté, le Luxembourg, l’Estonie, Malte et la Lituanie de l’autre ? Est-il vraiment semblable qu’une politique raisonnable sorte d’une banque centrale dans laquelle pouvoir de gestion et responsabilité financière sont à ce point hors de proportion ? Peut-on escompter une bonne gouvernance si des pays comme l’Allemagne se voient privés de leur droit de vote au Conseil durant certaines périodes ? En d’autres termes, la déconnexion entre maîtrise opérationnelle et responsabilité économique, qui est le caractère institutionnel le plus frappant de la BCE, conduira-t-elle à des politiques qui sont ou bien considérées avec méfiance par quelques pays majeurs ou bien ouvertement rejetées par leurs peuples ?
Conflits d’intérêts
Une banque nationale indépendance ne peut s’affranchir de la démonstration de cette indépendance qu’avec l’appui de l’opinion publique, au cours des batailles politiques quotidiennes. La BCE, elle, mène sa politique sans se soucier des opinions publiques. L’absence d’un espace public européen s’avère avantageuse pour elle. Elle limite sa responsabilité au stade de quelques conférences de presse de ses président et vice-président. Jusqu’à présent, le président a vraiment tenté de convaincre l’opinion publique allemande des vertus de sa politique. Ses efforts de communication montrent clairement la crainte du président Draghi de perdre ce que la Bundesbank n’a jamais perdu : la confiance du peuple allemand. Ce dernier a, par contre, la conviction que l’Allemagne a été marginalisée par la BCE.
Pour résumer les considérations qui précèdent, il est évident que l’indépendance de la BCE est un problème, et non la solution. Ce problème intrinsèque pourrait être atténué si elle adhérait strictement à son mandat. À l’inverse, son interprétation extensive de ses attributions et leur élargissement entraînent d’importantes conséquences, surtout en termes de conflits d’intérêts. Même investie d’un mandat très restreint, la BCE et ses dirigeants tiennent le même discours, laissant entendre que leurs mesures durant la crise de 2007-2008 ont assuré un sauvetage bienfaisant, tout comme les mesures originales prises depuis 2010. Or, depuis plus de dix ans, nous observons une BCE en mode de crise qui présente un programme extravagant après l’autre pour défendre la « stabilité monétaire » selon une définition totalement discrétionnaire de l’inflation convenable.
Mais malgré les programmes d’achat de titres de marché et d’obligations garanties – 2.600 milliards d’euros jusqu’à présent – l’inflation n’a pas beaucoup bougé. En revanche, les risques de cette politique, ainsi que les incitations pour les mauvais débiteurs étatiques, ont augmenté.
En dépit de politiques dérogatoires et de pouvoirs de supervision accrue, la BCE semble avoir perdu sa capacité de diriger de façon autonome la politique monétaire tout en ayant un impact sur le marché des capitaux. L’effet de distorsion de concurrence sur le marché des capitaux – peut-être voulue par la BCE – est le trait dominant de cette politique. On peut se demander dans quelle mesure elle a contribué à l’instabilité potentielle du système financier. Elle a d’ores et déjà dégradé la réputation au sein des États de la zone euro. À long terme, c’est une menace pour son autorité.
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