Métaux et terres rares
INDUSTRIE
Par Christophe-Alexandre PAILLARD, Jean-Pierre GÉRARD, B. COURTOIS
7/7/20248 min read
[CA. PAILLARD]
Je vais faire une présentation brève, en trois parties :
• L’Amont : les mines,
• L’aval : les transformations et l’industrialisation,
• Les grands éléments économiques, technologiques, industriels, militaires.
Je commence par une introduction générale.
Les métaux ont toujours été essentiels à la civilisation depuis les périodes mêmes préhistoriques. Vous connaissez l’âge du bronze, la civilisation du cuivre, bien sûr l’âge du fer.
Les métaux ont toujours été indispensables à toutes les guerres, parce que nécessaire pour forger les armes.
Prenez un exemple, celui de la guerre des Gaules. César évoque lui-même la qualité des mines que l’on trouvait à la fois en Hispanie et en Gaule. Les armes gauloises étaient réputées être les meilleures du monde antique. La république romaine voulait donc s’emparer de cet « avantage compétitif » pour affronter des civilisations plus puissantes au Proche et Moyen Orient.
On a parlé de la période de juillet 44 à mai 45 : la production industrielle allemande atteint son sommet en novembre 1944. Certes la guerre est déjà stratégiquement « perdue », mais l’efficacité de la production industrielle est alors très forte. Pourtant elle va justement avoir un gros problème d’approvisionnement en métaux. Cette industrie importait massivement du fer de Suède, du Tungstène du Portugal et d’autres métaux, de Turquie, d’Espagne… Elle va finir par en manquer et ne sera pas capable donc de mettre en production des éléments importants de l’armement allemand.
La grande différence aujourd’hui, je vous invite à regarder le tableau de Mendeleïev, est que nous sommes passés d’une utilisation courante de dix à quinze de métaux (Fer, Or, Argent, Cuivre…) au début de notre ère industrielle à aujourd’hui une utilisation massive de quasi tous les métaux pour des applications toutes plus sensibles les unes que les autres (cf. Annexe 11 et annexe 12).
– Revenons sur l’Amont : les mines.
En réalité, ces métaux se trouvent à peu près partout dans le monde. Les grosses différences tiennent à la concentration géologique. L’industrie minière est très consommatrice d’investissements, très capitalistique. Ouvrir une nouvelle mine coûte entre 1 et 2 milliards de dollars. Le secteur est maintenant très concentré. Il a connu dans les années 2000 une forte restructuration, comparable à celle du pétrole dans les années 1990.
• Glencore-Xstrata (Anglo-suisse), CA=153 mds en 2017
• BHP (Anglo-australienne), CA=34 mds en 2017
• Rio Tinto (Anglo-australienne), CA=34 mds en 2017
• Vale (Brésil), CA=32 mds en 2017
Les Français sont très loin derrière. Notre seule entremise minière s’appelle ERAMET, CA=3 mds en 2018. La France qui était un « géant mondial » en termes de connaissances géologiques, l’école des mines, le BRGM… a totalement perdu pied.
La ressource géologique économiquement exploitable se trouve concentrée dans une douzaine de pays. Ils sont à considérer, selon les cas, comme très stratégiques ou très critiques.
• Stratégique : important pour l’économie, suffisamment présent, dans un nombre de pays importants.
• Critique : dans un nombre limité de pays, utilisation industrielle extrêmement sensible (sans substitution connue) et difficulté pour l’usiner ou le transformer.
Parmi ces pays, stratégiques et critiques :
• Chili, Brésil, Argentine, Pérou
• Canada, États-Unis
• Russie, Kazakhstan, Chine
• Australie
• Très ponctuellement, l’Afrique du Sud et la RDC
• Rien en Europe, sauf un peu Suède, Norvège, Grèce
Notons que la situation de la Grèce a fait qu’elle a complètement vendu ses mines à la Chine. Personne en Europe ne voulant ni les aider ni leur acheter.
Les « terres rares » sont en fait des métaux, au nombre de 17 (cf. Annexe 10).
Il ne faut pourtant pas se focaliser sur ces seules terres rares.
Pourquoi la Chine est-elle aujourd’hui dans une situation d’hyper monopole (cf. Annexe 14).
La Chine, c’est un « hasard », dispose d’une ressource géologique importante et dans de fortes concentrations en Mongolie chinoise. La Chine s’est surtout donné les moyens de les exploiter, en faisant néanmoins une impasse totale sur le volet pollution. On parle, aux États-Unis et au Canada, de l’effet destructeur de la fracturation hydraulique pour les pétroles et gaz de schistes mais le procédé équivalent pour extraire les terres rares est beaucoup plus polluant. Le gouvernement chinois en a tellement pris conscience qu’il y a aujourd’hui une politique « environnementale » extrêmement vigoureuse mise en place car cela devient un facteur important de déstabilisation sociale du pays. Et il y a de plus en plus de gens malades de ces effets.
Le lithium par exemple est aujourd’hui un composant essentiel pour les batteries de nos téléphones portables, de nos ordinateurs, des voitures électriques…
Le rhénium est produit en très petite quantité, au niveau mondial, mais il est crucial pour la rigidité des moteurs des avions de combat.
Le niobium est surtout concentré au Brésil. Il a des qualités de résistance aux torsions. Il est extrêmement recherché pour les aciers à très haute résistance. On l’utilise en particulier en construction pour monter toujours plus haut des gratte-ciels comme ceux que l’on trouve dans les riches monarchies du Golfe.
Le béryllium est surtout concentré aux États-Unis, dans l’Utah. Il a de très grandes qualités de résistance aux fortes températures. Les têtes de rentrée des armes nucléaires françaises du M51 sont usinées à partir de béryllium.
– Revenons sur l’Aval : les transformations et l’industrialisation.
Il y avait autour de Paris une petite PME, soutenue à bout de bras par la DGA, avec un médiocre niveau de rentabilité. Mais là le sujet était éminemment stratégique et son secteur R&D est quant à lui très performant.
De même pour le cœur d’ITER. Économiquement, du moins à court-moyen terme, le projet apparaît non rentable.
Pour les Européens le sujet est beaucoup plus celui de l’aval que de l’amont. Nous pouvons acheter des métaux sur des marchés relativement surs, Canada, Australie et même Russie… Airbus et Boeing ont signés des accords de livraison avec des Russe. Ces accords, malgré le bruit autour des sanctions, n’ont jamais été rompus ni mis en question.
Le défi européen aujourd’hui, écrans plats, énergies renouvelables, voitures… est d’avoir des entreprises capables de transformer ces matériaux bruts pour en faire des produits de haute sophistication. Celles qui existaient en France, comme en Allemagne, disparaissent. Il y a des concurrents chinois plus performants.
Il ne suffit pas de dire que les Chinois sont des « méchants ».
La question pour nous est de savoir si et comment nous voulons protéger notre tissu industriel ?
Les Allemands se font racheter KUKA, géant de la machine-outil.
Nous nous faisons racheter toutes nos PME-PMI dans le silence absolu de nos autorités. Il y a dans notre secteur des entreprises stratégiques (~1000) à protéger. Nous avons largement informé les autorités.
Plus largement, nous assistons à une désindustrialisation de l’Europe qui va devenir irréversible.
– Revenons sur les grands éléments économiques, technologiques, industriels, militaires.
La Commission européenne a réagi pour une fois.
Un premier plan métaux a été élaboré en 2010.
Un second en 2014… et puis plus rien !
Nous avions pourtant continué à travailler avec l’AED pour certains sujets militaires.
Et ce 24 septembre 2018, nous avons refait une première réunion.
Sous la coordination MTES, THALES, Airbus et autres, ont mis au point des plans internes pour anticiper ces problèmes.
Les Allemands, par la base et par les entreprises, avaient initié de même une Alliance pour les matières premières. Elle n’a pas fonctionnée. Pas plus que le comité des matériaux stratégiques français, hébergé par la DGE.
Les raisons :
• Absence de compréhension du problème par les autorités politiques
• Complexité de techniques entremêlées difficiles à expliquer
• Complexité de tissus industriels difficile à expliquer
Comment avoir une politique minière nationale ?
En France la situation est figée depuis novembre 2011 par l’interdiction de forages pour des raisons de combinaisons politiciennes.
Quels sont les outils de défense industrielle dont nous pouvons bénéficier ?
La Chine est certes un problème, mais rappelons que les États-Unis et d’autres font exactement pareil…
Ce sujet est le NÔTRE ! La France n’a pas de marché boursier efficace, n’a pas de capitaux à offrir. La BPi est sous capitalisée. Il y a un problème de moyens et un problème de VOLONTÉ.
Depuis environ deux ans, Allemagne, France, Italie ont porté un projet de règlement européen sur les investissements étrangers en Europe. Mais depuis, les différences de point de vue, additionnées aux crises politiques dans ces trois pays, ont fait si bien que le projet est « mort », « enterré » quelque part.
La situation est éminemment critique sur un sujet qui sera essentiel pour notre prospérité au XXIème siècle.
[JP. GÉRARD]
On a parlé gisements terrestres. Quid de gisements sous-marins ?
Pour ce qui est de la politique industrielle, j’ai bien suivi le dossier PHOTOWATT. Les désaccords entre France et Allemagne ont tués le projet. Les Allemands ont préféré défendre leurs propres entreprises de construction panneaux photovoltaïques. Intelligemment, la Chine a mis un coin entre France et Allemagne.
[CA. PAILLARD]
Les fameux nodules polymétalliques, qu’on trouve dans la partie nord du Pacifique et dont on a beaucoup parlé dans les années 80, font un sujet bien connu et identifié :
– Nodules : il y a un problème essentiel lié à la profondeur sous-marine (> 3000m, a minima): nos technologies actuelles font qu’une exploitation industrielle rentable n’est pas permise.
Le seul gisement actuellement exploité (ouvert par TECHNIP, et racheté depuis par des Américains ) est un site off-shore en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Mais à part cela, rien ! Nous ne serons pas capables, et au niveau mondial, d’exploiter efficacement, commercialement, de tels gisements avant longtemps.
– PHOTOWATT : nous sommes les premiers responsables de notre malheur. Certes les Allemands ont leur politique, mais nous avons la nôtre. En la matière je ne crois pas beaucoup à une hypothétique solidarité européenne. Mais dans ce dossier, ce qui est révélé est que les Français depuis près d’un demi-siècle n’ont jamais été capables de définir une vraie stratégie long-terme pour ce qui est de notre politique énergétique.
Le ministère où nous travaillons, que j’appelle le ministère de la magie, est en fait un grand n’importe quoi. Non que ses membres soient des mauvais mais parce qu’il n’y a plus d’orientation politique raisonnable sur aucun sujet.
[B. COURTOIS]
A-t-on une idée des quantités réelles de terres rares dont l’industrie européenne aurait besoin ?
[CA. PAILLARD]
Oui, d’une manière générale, après des travaux faits sous l’égide du comité des matériaux stratégiques français et du BRGM, nous savons les besoins. Il en est de même au niveau européen, tant sur les volets civils que militaires. Bien sûr ces volumes estimés sont approximatifs car certains industriels se doivent de rester plutôt discrets pour ne pas donner trop d’indices sur leurs recherches et leurs produits. Par ailleurs, dans bien des cas, les volumes dont on parle, s’ils sont stratégiques, sont également assez faibles.
Au sujet de votre réflexion sur TECHNIP, sans trop détailler, depuis 2003 la société s’était engagé dans un retour en Iran pour exploiter le grand champ gazier qui se trouve à la frontière maritime du Qatar. Il y a là environ 30% des réserves estimées de gaz naturel au niveau mondial. TECHNIP construit une usine de liquéfaction de gaz. Un des constituants essentiels est ce qu’on appelle des pompes cryogéniques. Il n’y a que deux fabricants au monde, l’un Américain, l’autre à la frontière franco-suisse, à côté de Bâle. La situation de la société suisse était ponctuellement compliquée, le contrat était soumis à de fortes pénalités de retard… TECHNIP, en 2005, a donc commis l’erreur d’acheter les pompes américaines pour le client iranien et pour cela de falsifier les licences de réexportation. Ce fut le début de la chute de TECHNIP !
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