Ouverture du séminaire
La monnaie est-elle, peut-elle, ou doit-elle être un simple moyen neutre d’échange et de réserve ou, aussi, un moyen de gouvernance économique, de prospérité, voire un objet de spéculation ? Dollar, convertibilité-or, crise de l’euro, explosion de la dette monétaire, crise des subprimes, bitcoins, émission monétaire par les banques privées, relance keynésienne, 100% monnaie… Le référendum constitutionnel suisse d’initiative populaire du 10 juin 2018 sur la « monnaie pleine » réactive un débat de fond séculaire : qui décide et contrôle l’émission monétaire ? Une occasion de reprendre ce débat crucial mais souvent oublié. La vie monétaire doit s’apprécier au travers les questions suivantes : Sommes-nous encore propriétaires de notre épargne en banque ? La valeur de la monnaie est-elle réellement garantie alors même qu’on interdit la circulation fiduciaire ? Qui peut et qui doit garantir la valeur de la monnaie : un organisme politique responsable ou une entité technocratique ? Ces questions sont bien au cœur de notre débat.
MONNAIE PLEINE
M. Julien AUBERT Député du Vaucluse, membre de la Commission des finances, magistrat à la Cour des Comptes ET M. Jean-Pierre GÉRARD Chef d’entreprise, président du club des numéros 1 mondiaux à l’exportation, président du G21 et de l’institut POMONE
7/7/202411 min read
[Julien AUBERT]
Bonjour à toutes et à tous, c’est avec un grand plaisir que j’ai accepté de vous accueillir ici pour ce colloque. Je pense que l’on ne débat pas suffisamment de monnaie. Quand on voit le contexte actuel, l’actualité politique et économique, nous nous rendons compte que ce colloque tombe merveilleusement à pic.
Tout d’abord, évoquons cette tribune de 154 économistes allemands, qui ont appelé à refuser le partage des responsabilités bancaires, ayant peur que l’Allemagne paie pour les pays moins rigoureux (avec toujours cette phobie d’inflation) et qui estiment que les mécanismes de transfert dans le cadre d’un budget se fait au détriment de la croissance et de la stabilité financière. Ils pensent qu’il faudrait par conséquent une modification du droit de vote au sein de la Banque Centrale Européenne en fonction de la responsabilité (manière pudique de dire « celui qui paie, pèse plus »), donc sur le modèle du FMI de sorte qu’un pays qui ne respecte pas les critères de l’Union Européenne soit privé de toute influence sur la politique monétaire de l’UE. Deuxièmement, ils souhaiteraient la création d’une procédure d’insolvabilité, d’une procédure de retrait ordonné pour les états (autrement dit une manière polie de dire que « celui qui ne respecte pas les règles du club pourrait bénéficier d’une clause de sortie »).
Cela nous mène à une deuxième actualité qui est celle de l’Italie qui, on le voit bien avec l’accession au pouvoir d’une étrange coalition, proposera une sortie de l’Euro et la création d’une monnaie propre à l’Italie, maintenant une certaine hostilité à la monnaie unique, souhaitant renégocier les traités et revoir la manière dont on calcule le déficit budgétaire au sein de l’UE (dette de 132% du Produit Intérieur Brut).
On voit bien que le débat sur l’Euro, qui est notre monnaie, est en train de se tendre au sein de l’UE. Je crois donc qu’il est temps de se demander « qu’est-ce que nous attendons de la monnaie » ? Je crois également, l’exemple suisse est une bonne clé d’entrée, qu’il est urgent de se demander si on doit passer à la « monnaie pleine », si on doit revoir la création de monnaie. Je crois que c’est important au regard des sommes évoquées, car on voit bien que la financiarisation de l’économie a conduit à la profusion de l’argent « bon marché », « l’argent magique » dirait le Président de la République. Je suis donc inquiet quand je vois d’un côté les réserves des banques centrales, et de l’autre des mouvements de très grandes tensions, des hauts, des bas et des sommes à plusieurs milliards d’euros ou de dollars. Cela laisse à penser que la prochaine crise financière ne pourrait être endiguée par les banques centrales les plus puissantes, la BCE et la FED, ne pouvant simplement pas enfourcher le dragon de la mondialisation.
Il y a donc ceux qui veulent s’attaquer à cette instabilité en essayant de réglementer la finance. Mais je crois que l’angle que vous avez abordé qui est par les banques, en remettant les « distributeurs de billet au milieu du village », est une manière intelligente. J’espère donc que ce colloque permettra d’analyser finement la procédure suisse, et surtout la question du comment ? Car tout l’art du politique, ce n’est pas d’avoir de bonnes idées, c’est de savoir gérer la transition, surtout en économie, entre un état A et un état B. C’est cela qui m’importe, car c’est cela finalement qui rétroagit sur les gens. J’aimerais qu’on réfléchisse à cette méthodologie, et savoir si l’exemple suisse est transposable et si nous, hommes politiques français et femmes politiques françaises, nous pouvons en faire quelque chose.
Je voulais une nouvelle fois vous remercier d’être venus nombreux, j’espère que vos tableaux seront prospectifs, riches, denses et surtout qu’il y aura du débat, car dans notre pays, le débat manque.
[Jean-Pierre GÉRARD]
Je voudrais tout d’abord remercier M. Julien Aubert de nous permettre de nous réunir dans une des salles de l’assemblée nationale. Je voudrais également remercier tous ceux qui ont concouru à la réalisation de ce colloque, Henri temple, Jean-Claude Werrebrouck, tous les orateurs qui se sont déplacés de Suisse.
Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui au nom du G 21 et de l’institut Pomone pour participer à une réflexion sur ce qu’on appelle la monnaie pleine. Cette terminologie un peu ésotérique n’est en fait que la traduction sans doute un peu maladroite de « VollGeld », en vue de limiter la création monétaire dont la croissance exponentielle au niveau mondial, a préoccupé un certain nombre de citoyens suisses au point de réunir suffisamment de signatures pour provoquer une votation en vue d’une limitation institutionnelle de la création monétaire en Suisse. Il faut souligner que ce référendum est extrêmement important car c’est un des rares référendums dont l’objet est constitutionnel, et que son adoption entraînerait des modifications de la constitution particulièrement importantes.
Cette forme de limitation de la création monétaire est réclamée depuis longtemps par des contributeurs prestigieux, dont certains sont là aujourd’hui. Cette approche a été défendue par plusieurs prix Nobel d’économie au premier rang desquels je place Maurice Allais.
Dans ce cadre, et avec ces références, le G21 a voulu y voir plus clair. Indépendamment des options politiques et en essayant de mettre le maximum de rationalité dans des domaines éminemment sensibles.
Je voudrais quand même en deux mots vous expliquer ce que sont le G21, et l’institut Pomone. Ce sont deux groupes de réflexions, le premier sur la politique générale et le second plus spécifiquement sur la politique monétaire.
Le G 21 signifie gaullisme du XXIe siècle. Je n’essaye pas de faire dire à De Gaulle ce qu’il aurait fait, mais nous nous appuyions sur sa réflexion sur la France, dont les déterminants sont des invariants historiques. Les choix s’appuient sur la volonté nationale, sont inspirés par l’âme du peuple français, par son histoire séculaire et par la volonté collective de grandes ambitions.
L’institut Pomone, (pour une organisation monétaire nouvelle en Europe), se propose de redéfinir la politique monétaire de nos différents pays. Certains documents sont d’ailleurs votre disposition. Là encore, l’objectif est de construire une Europe respectueuse des nations. Là également la difficulté vient de la création de l’euro qui a imposé et qui impose toujours le carcan irrépressible d’une politique monétaire plus soucieuse des intérêts des organismes financiers que de l’activité économique.
La commission européenne, et les élites nationales se lamentent de la montée du populisme dont ils sont pourtant responsables. Ils refusent de voir la colère froide de chacun des peuples européens.
Le problème qui nous préoccupe est celui de la croissance exponentielle de la masse monétaire, au niveau mondial et au niveau européen. Mais me direz- vous, pourquoi faut-il contrôler la croissance de la masse monétaire. Cela tient en quelques chiffres :
Un PIB mondial d’environ 80 000 milliards de dollars.
Une masse monétaire dont les derniers chiffres connus étaient de 800 000 milliards de dollars, et je ne serais pas étonné qu’on ait
atteint 1 million de milliards de dollars.Une masse monétaire nécessaire au financement de l’économie dont on peut estimer qu’elle doit représenter 3 fois le PIB. Ce qui fait 240 000 milliards de dollars, chiffre corroboré dans le dernier rapport du FMI qui donne une masse monétaire utilisée par des sociétés non financières de 275 000 milliards de dollars.
La juxtaposition de ces chiffres fait apparaître la nature du problème. Mais comment se fait-il qu’on en soit arrivé là. On peut estimer que jusqu’au début des années 90, l’écart entre la masse monétaire « utile » et la masse monétaire totale était à peu près maîtrisé malgré la dérégulation et la mondialisation.
Le premier accroc d’envergure s’est produit avec la faillite de LTCM. Cet organisme avait une politique utilisant des effets de levier allant parfois à plus de 100. LTCM dont le capital était de 1,2 milliards de dollars prenait des positions sur le marché des capitaux portants en 1997 et 98 sur 1200 milliards de dollars, dans des conditions d’exercice particulièrement opaques. La formule soi-disant magique de Merton et Scholes pour laquelle ils ont d’ailleurs obtenu le prix Nobel a bien fonctionné pendant quatre ans. Malheureusement l’hypothèse de base était celle d’un risque gaussien, et que les événements qui se sont produits n’avaient pratiquement pas de probabilités sérieuses de se réaliser. Ce que Robert Merton traduira « stricto sensu, il n’y avait aucun risque. Si le monde s’était comporté comme il l’avait fait par le passé ». Mais la crise asiatique, et le défaut de la Russie ne devaient pas exister. Et pourtant, en 1998 pendant l’été en quatre mois LTCM a perdu 4 milliards de dollars.
C’est la première manifestation où on commence à voir apparaître le besoin de maîtriser la création monétaire. Non pas à cause de la faillite en elle-même, mais parce que les dirigeants américains ont estimé, à mon sens à tort, que LTCM ne pouvait et ne devait pas faire faillite en raison de l’entraînement vers un risque systémique. Depuis cette période où un gouvernement accepte que le risque pris ne soit pas sanctionné, on est entré dans la spirale infernale de la création monétaire débridée, non contrôlée, non maîtrisée. Greenspan en a été l’artisan.
Dans son livre « 50 ans de crise » Jacques de Larosière recense la liste de toutes les crises monétaires. Avec son esprit pointilleux, il en fait une liste exhaustive sans malheureusement aller plus loin que les décrire. Il considère que ces crises sont inévitables et nécessaires sans jamais chercher ni pourquoi elles existent, ni leurs conséquences, ni leur traitement. La seule solution imaginée, est celle de la création monétaire avec la bénédiction de la BCE et de la Fed.
Cette situation nous paraît non satisfaisante, alors cherchons.
Le colloque d’aujourd’hui répond à cette préoccupation. Je ne suis pas sûr que la monnaie pleine soit la solution, mais en revanche je suis sûr que si nous ne trouvons pas les moyens de contrôler et de limiter la création monétaire, nous
aurons des jours sombres devant nous.
Ce qui me paraît extrêmement grave depuis la période LTCM, c’est le retrait de la responsabilité qui fait pourtant l’essentiel de la qualité des économies libérales. Depuis que nos deux prix Nobel ont été exonérés de leurs erreurs, les banques n’ont plus qu’une seule ambition qui est d’augmenter leur taille pour être « Too big to fail » et la législation en augmentant à 12,5 %, le montant des réserves ne change rigoureusement rien. Depuis la course à la taille est au contraire rechercher pour elle-même, puisque les dirigeants ne risquent plus rien.
En fait les produits dérivés étouffent la croissance économique. Pourquoi ?
Je vais donner deux pistes :
La première tient à l’éviction du marché des capitaux de l’ensemble des activités productives dont la rentabilité est moins ponctuelle, et d’autre part plus difficile à tenir. Les activités économiques travaillent sur des horizons de cinq à sept ans minimums alors que les activités financières travaillent sur des horizons moins éloignés. Le profit découle de la méthode de construction et d’échanges des produits dérivés entre eux. Les produits dérivés, regroupent des créances saines et des créances malsaines, à la suite de plusieurs étages plus personne ne sait quelle est la fiabilité de ses produits qui sont mis sur le marché. Cela a été le développement de toute la financiarisation des subprimes. La méfiance s’est installée car plus personne ne savait faire la différence entre ce qui était mauvais et ce qui était bon. Les échanges entre banques n’étaient plus possibles et le seul moyen d’assurer la liquidité a été de faire la politique du quantitative easing à la Fed et à la banque centrale européenne. Cela a tout naturellement conduit à une baisse dramatique des taux d’intérêt. La conséquence en est que les décisions d’investissement se font sur des critères sauf dans la sphère privée, tout à fait éloignés de leur rentabilité économique. À partir du moment où l’argent ne coûte rien, la décision appartient à ceux qui ont le pouvoir et non à ce qui créent l’avenir (car de leur rentabilité dépend le financement des échecs inévitables). Ces investissements se sont considérablement accrus, et mobilisent une partie importante des capitaux pour le seul besoin des échanges de produits dérivés. Cette masse ne va pas vers l’économie réelle et restreint donc la part des capitaux qui s’orientent vers cette économie réelle.
La seconde piste prend en compte le fait que cette éviction des activités productives sur le marché des capitaux, provoque une rareté des activités elle- même et entraîne simultanément un accroissement du prix des actifs. Cette tendance était déjà sensible lorsque j’étais au conseil de politique monétaire. Mais cela s’est aggravé considérablement comme j’ai pu le mesurer lors de notre dernière discussion avec la banque publique d’investissement. Cet accroissement de la valeur des actifs a deux sources, la rareté des capitaux affectés l’économie réelle, et l’insuffisance de la rentabilité des capitaux investis. Tout cela entraîne une exigence de profitabilité de la part des entreprises et de l’ensemble des activités productives. Il ne faut pas voir ailleurs la raison de la disparition du tissu économique et industriel (sensibles également en Allemagne). L’augmentation de la valeur du prix des actifs rend incompatibles les activités économiques de l’Europe dans le cadre de la mondialisation.
Je n’en dirai pas plus aujourd’hui, sur le fond de ce problème. N’oublions pas que notre objectif est de mieux maîtriser la croissance de la masse monétaire pour qu’elle n’étouffe pas la croissance économique. La monnaie pleine ne me semble pas être une solution systémique totalement satisfaisante Elle peut être un début de solution partielle et limitée. Pourtant je soutiens fortement cette tentative car c’est la première fois que le problème de la maîtrise de la croissance économique et de la croissance de la masse monétaire est posé de manière claire et précise, et que l’avis du peuple est demandé. Je ne sais pas quel sera le résultat du 10 juin, mais en Suisse le débat a lieu et intéresse tout le monde. L’objectif de notre colloque est en tout cas de provoquer ce débat en France, débat qui est étouffé par des considérations sur l’euro et d’autre part par le comportement bancaire qui craint de se voir retirer certain nombre de prérogatives.
Une deuxième raison me conduit à examiner l’expérience suisse, avec beaucoup d’intérêt. C’est que cette tentative est Suisse. Chaque fois que quelque chose est fait dans la confédération, il est judicieux de l’examiner. On n’est pas toujours d’accord avec eux, mais ce qu’ils font est généralement pour ne pas dire systématiquement, réfléchi en fonction des intérêts de la Suisse. Leurs décisions économiques et financières méritent toujours une analyse approfondie.
En conclusion je vous demande d’aborder ce colloque avec la modestie nécessaire qui cadre mal avec une certaine arrogance de nos élites vis-à-vis de ce pays qui connaît le plein-emploi, qui emploie entre 300 et 500 000 frontaliers français, bien heureux de trouver à 30 ou 40 km de chez eux des entreprises souvent de renommée mondiale y compris dans les domaines les plus courants.
En tant qu’industriel travaillant beaucoup avec la Suisse, je peux vous assurer que malgré les difficultés qui sont toujours inhérentes aux problèmes techniques et aux problèmes relationnels, nous avons toujours trouvé auprès des autorités et des clients un comportement bienveillant et responsable qui change avec le comportement de l’administration française et de nos grandes entreprises françaises.
Alors je nous souhaite une bonne après-midi de travail qui dans mon esprit ne peut être qu’une première réflexion sur ce sujet difficile mais passionnant qu’est la politique monétaire.
Mission
Un groupe de réflexion économique, politique et sociale.
© 2024. All rights reserved.