Partie II. Une régulation modernisée préférable à un changement de paradigme ?

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MONNAIE PLEINE

François SCHALLER Journaliste économique, ex rédacteur en chef de l’AGEFI et de PME magazine de Genève ET Henri STERDYNIAK Économiste, Observatoire français des conjonctures économiques ET Jean-Michel NAULOT Ancien banquier d’affaires et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF)

7/7/202419 min read

(Retranscription des propos prononcés)

  • Les risques de la « monnaie pleine » (fin de l’indépendance des banques centrales, fin du libéralisme au profit d’une gestion publique des encours de crédit, destruction des mécanismes d’allocation optimale du capital, fuite des capitaux et contrôle des mouvements de capitaux).

  • Revisiter et améliorer la régulation bancaire actuelle.

[François SCHALLER]

Je suis là pour en quelque sorte faire la contradiction puisque je suis opposé à cette initiative monétaire. Je suis un libéral-national et j’ai toujours été très critique vis-à-vis de ce qu’on appelle le néo-libéralisme. Certains vont me voir comme le représentant du grand capital bancaire, je revendique mon indépendance. Je vais énoncer quelques éléments de mon analyse concernant cette initiative populaire suisse, qui n’est soutenue par aucun parti politique.

Il y a dans cette initiative quelque chose qui n’a pas été évoqué et qui pourtant figure dans le texte. La Banque nationale, dans le cas de monnaie pleine, créerai de la monnaie, scripturale ou non, par le biais de « dons » sans contrepartie aux collectivités publiques, et surtout appliquerai ce qu’on appelle « l’hélicoptère monétaire » : une partie de la création monétaire passerait par une distribution sans contrepartie d’argent aux ménages. Évidemment, cela pose un certain nombre de problèmes.

Comment se déroule le débat ? Il y a deux niveaux : le premier politique et le deuxième économique.

Le ministre des finances de la Suisse a déclaré récemment que le débat qui avait lieu n’était pas simplement académique et que les suisses, du point de vue politique, n’ont pas envie de se
lancer seuls dans cet « aventure ». Les suisses seraient donc en quelque sorte les pionniers de la mise sur pied d’un système qui serait complétement maîtrisable. J’ai, en ce qui me concerne des doutes considérables sur le fait qu’aucun système financier dans l’histoire de l’humanité n’ait été maîtrisable. Aucun système n’a duré. Je suis convaincu que le système dans lequel nous nous trouvons depuis 2008 avec le quantitative easing ne durera pas non plus. Donc sur le fond, je suis incapable et je pense que les Suisses le sont aussi, de me faire une idée précise et définitive sur les bienfaits du contenu de cette initiative. Chacun des éléments est convaincant mais quand il s’agit d’un système on ne peut avoir idée de sa durabilité d’autant plus que certains éléments n’ont jamais été explicités.

Sur le fond, personne ne peut dire aujourd’hui si dans dix ou vingt ans, le système « monnaie pleine » sera oublié, s’il sera partiellement ou complètement en vigueur.

Je suis convaincu que, si ce système se met un jour en place, cela se fera soit sur une très longue période, éléments par éléments, soit, de manière plus probable, par suite d’une crise de l’ampleur de ce qu’on aurait connu en 2008. Avant 2008, la politique monétaire des banques centrales était non seulement très différente, mais en grande partie complètement contraire à ce qui se pratique depuis 2008. C’est à la suite de crises très importantes que l’on assiste à ces changements de paradigme qui ont lieus de manière très rapide, voire chaotique.

Pour terminer je considère que le quantitative easing est quelque chose de tout à fait indéfendable du point académique, économique, théorique. Depuis 2008, les gouvernements ont injecté des liquidités pour faire renaître le système financier pour provoquer par effet de richesse, un redémarrage de l’économie. De ce point de vue-là, on ne peut pas dire que c’est un échec complet : l’économie mondiale s’est tout de même remise en route alors qu’elle aurait pu rester bloquée pendant des années. »

[Henri STERDYNIAK]

En Suisse, pays démocratique s’il en est, un projet de loi ayant obtenu plus de 100 000 signatures est obligatoirement soumis à un vote populaire. Ainsi, les citoyens suisses ont-ils été consulté, par exemple, sur le revenu universel, la sortie du nucléaire, le maintien de la redevance du service publique de radio et télévision. Ils devront se prononcer ce 10 juin sur un projet intitulé par ses initiateurs ; « Pour une monnaie à l’abri des crises : émission monétaire uniquement par la Banque nationale ! (Initiative Monnaie pleine) »(1). L’objectif de cette initiative est de donner à la Banque Nationale Suisse (BNS) le monopole de la création monétaire ; d’interdire aux banques privées de créer de la monnaie, donc de faire du crédit sans épargne préalable ; de les obliger à déposer auprès de la banque centrale la totalité des dépôts monétaires. Si l’on peut voir dans ce projet la volonté de mettre un terme aux excès d’une finance dérégulée, il est selon nous cependant mal pensé et inadapté pour répondre aux défis la financiarisation de l’économie.

Il faudrait donner à la BNS le monopole de l’émission monétaire.

Plus précisément, le projet propose d’inclure dans l’article 99 de la Constitution, les paragraphes 1 et 5 : «1. La Confédération seule émet de la monnaie, des billets de banque et de la monnaie scripturale » ; « 5. Les prestataires de services financiers gèrent les comptes pour le trafic des paiements (2) des clients en dehors de leur bilan. Ces comptes ne tombent pas dans la masse en faillite ». Il s’agit d’imposer un coefficient de réserves obligatoires de 100% sur les comptes à vue, dont la contrepartie devra être déposée à la BNS.

Il propose de réécrire le paragraphe 99 a : « En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque Nationale Suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays ; elle gère la masse monétaire et garantit le fonctionnement du trafic des paiements ainsi que l’approvisionnement de l’économie en crédits par les prestataires de services financiers. Dans le cadre de son mandat légal, elle met, en circulation, sans dette, l’argent nouvellement émis, et cela par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l’attribuant directement aux citoyens. Elle peut octroyer aux banques des prêts limités dans le temps ».

Ce projet s’inscrit dans une longue lignée de dénonciations du système monétaire actuel, avec des arguments discutables : les banquiers ont privatisé la création monétaire ; ce sont des faux-monnayeurs qui font payer des taux d’intérêt sur les crédits qu’ils créent gratuitement ex nihilo ; cette privatisation se fait au détriment des États qui ne peuvent plus s’endetter à taux zéro auprès de la Banque Centrale et doivent payer des charges d’intérêt exorbitantes aux marchés financiers ;la création monétaire se fait par le biais du crédit (c’est la monnaie-dette),c’est la cause du surendettement actuel. Et d’autres, plus fondés : le crédit bancaire est pro-cyclique (puisque les banques accordent plus de crédit en période de bonne conjoncture et le restreignent en période dépressive) et nourrit la spéculation (il engendre une hausse du prix des actifs qui incite les banques à distribuer encore plus de crédit). Ces critiques s’accompagnent de projets de réforme monétaire comme le 100 % monnaie de Irving Fisher et Maurice Allais (3) (4) et, depuis peu, le QE for people, la Banque centrale verserait directement de l’argent aux ménages plutôt que de prêter aux banques. Autant de réformes auxquelles la majorité des économistes sont réticents11, mais qui ont trouvées de nombreux partisans (en particulier sur Internet) depuis la crise de 2007 et l’essor de la finance spéculative. Nous en présenterons d’abord les bases théoriques, puis l’application dans le projet de « Monnaie pleine ».

Pour les partisans du « 100 % monnaie », il y a une spécificité de la monnaie (définie comme la somme des billets et des dépôts à vue) qui justifie que toute la masse monétaire (au sens M1) soit contrôlée par la Banque centrale. Il faut donc appliquer un taux de réserve obligatoire de 100 % aux dépôts à vue. Ce système aurait quatre avantages : séparer la monnaie du crédit ; contrôler la quantité de monnaie ; interdire la création monétaire par les banques privées ; fournir des ressources gratuites à l’État, auquel la Banque Centrale prêterait à taux zéro les fonds ainsi obtenus.

Ainsi, pour Maurice Allais, les banques de dépôts devraient détenir la contrepartie de leurs dépôts en monnaie centrale et n’auraient pas le droit de consentir des crédits ; les déposants devraient rémunérer les banques pour leurs services. Par ailleurs, des banques de prêts collecteraient l’épargne sans avoir le droit d’accepter les dépôts à vue ; elles distribueraient des crédits, mais ces organismes, n’ayant pas de pouvoir monétaire, ne pourraient que transférer du pouvoir d’achat, pas en créer. Pour garantir leur liquidité, elles n’auraient pas le droit de prêter à un terme plus long que leurs passifs. Cette interdiction frapperait les intermédiaires financiers, dont la fonction est précisément, grâce à la loi des grands nombres, de fournir des prêts à long terme à partir de dépôts à court terme et de permettre la compatibilité des désirs de liquidité des épargnants et des besoins de financement à long terme des investisseurs. Le financement de la construction d’HLM par le livret A serait par exemple interdit.

En fait, ce projet est basé sur un mythe erroné : la possibilité de mettre en place un mécanisme qui assurerait automatiquement, ex-ante, l’égalité entre les actifs financiers émis et ceux que les ménages veulent détenir, c’est-à-dire entre l’investissement et l’épargne. Selon nous, dans une économie monétaire, on ne peut distinguer entre un bon crédit (qui serait financé par de l’épargne ex ante conservée sous forme de titres) et un mauvais (qui induirait de l’épargne forcée sous forme monétaire). Dans une économie de subsistance, l’épargne (renoncer à consommer une partie de la récolte) détermine automatiquement l’investissement (le grain que l’on conservera pour la semence). Dans une économie monétaire, comme l’a montré Keynes, l’épargne ex ante crée un déficit de demande sans générer automatiquement d’investissement. À chaque période, le crédit est nécessaire pour anticiper l’épargne et permettre l’écoulement de la production. Il n’existe pas de « marché des fonds prêtables » où pourraient se confronter une épargne ex ante et un investissement pour déterminer un taux d’intérêt d’équilibre. L’émission d’actifs financiers génère l’épargne ex post, mais cela peut se faire par hausse de la production ou des prix, de même que la restriction de cette émission peut provoquer du chômage ou réduire l’inflation. Les déséquilibres n’apparaissent pas sur un marché épargne/investissement mais sur le marché des biens. C’est le rôle de la Banque Centrale de fixer les conditions de distribution du crédit (taux d’intérêt et règles prudentielles) pour arriver à un niveau de demande satisfaisant correspondant à la production maximale sans déséquilibre. Ce niveau ne serait pas obtenu automatiquement, en prétendant interdire le crédit, hors épargne préalable.

Certes, les banques font du crédit sans épargne préalable, mais ex post les dépôts sont désirés par leurs détenteurs et ont une contrepartie en termes de crédit. Les banques ne créent pas de la monnaie pour elles-mêmes. Monsieur Frisch a produit pour 5000 CHF, qu’il reçoit en salaire ; il n’en dépensera que 4000 CHF ; il faut bien qu’un crédit de 1000 CHF ait anticipé l’épargne de Monsieur Frisch, de sorte que la demande corresponde bien au 5000 CHF mis sur le marché

Le projet 100 % Monnaie repose sur une distinction fictive entre épargne et monnaie. Les ménages et les entreprises choisissent librement la quantité de monnaie qu’elles veulent détenir en arbitrant entre dépôts à vue (qui fournissent des services de liquidité) et des dépôts plus ou moins liquides, risqués, rémunérateurs. Ce choix ne permet pas de dire : les dépôts bancaires sont de l’épargne forcée, les actifs non monétaires de l’épargne volontaire.

Selon quels critères peut-on décider qu’un actif financier représente de l’épargne ou de la monnaie, alors que l’évolution des systèmes financiers tend à faire disparaître toute frontière nette entre monnaie et actif financier ? De même, dans un système financier moderne, il n’est besoin de disposer d’un stock de monnaie pour faire des paiements puisque la banque peut ouvrir des lignes de crédit ou puiser dans des comptes dit non-monétaires (livrets, dépôts à terme de sorte que le lien masse monétaire/circulation monétaire s’affaiblit.

Si Allais (comme Hyman Minsky) dénonce à juste titre l’instabilité induite par le jeu combiné du crédit et des marchés financiers spéculatifs, le système de 100% Monnaie qu’il propose n’est guère une solution puisque dans la période récente la spéculation ne s’est pas développée à partir des dépôts à vue, mais de la finance dérégulée (les hedge funds, le shadow banking).

Dans la version rigoureuse du 100% monnaie, la banque centrale n’intervient plus sur le marché monétaire et se contente de choisir un taux de croissance de la masse monétaire. Les banques de prêts ne sont plus garanties. Selon ses partisans, cette politique garantirait une croissance stable à inflation contrôlée. On peut en douter quand on voit que les expériences de contrôle de la masse monétaire se sont traduites par de fortes fluctuations des taux d’intérêt, (qui sont montés à 20% en juin 1981 durant l’expérience Volker) de sorte que toutes les banques centrales ont renoncé à contrôler la masse monétaire.

Dans une version plus modérée du 100% monnaie, les Banques pourraient avoir deux départements ; l’un avec des dépôts à vue et un taux de réserves obligatoires de 100 % ; l’autre avec des dépôts dit d’épargne, mais celui-ci pourrait se refinancer auprès de la Banque centrale qui pourrait ainsi continuer à contrôler le taux d’intérêt sur le marché monétaire. Ce système 100% monnaie ne serait pas très éloigné du système actuel

Selon les partisans du projet, l’État pourrait ainsi conserver la totalité du seigneuriage, c’est-à-dire le bénéfice de l’émission de monnaie, de sorte que les impôts pourraient être réduits fortement. Mais, l’État serait incité à émettre inconsidérément de la monnaie pour bénéficier du seigneuriage. L’État, à travers la Banque Centrale, a déjà le privilège de l’émission de billets. Un taux de réserves de 100% sur les dépôts à vue se ferait au détriment de leurs détenteurs qui devraient payer aux banques les frais de fonctionnement des dépôts à vue aux banques. Il est difficile de justifier cette étatisation forcée.

Le problème de la votation populaire est que le texte soumis aux électeurs est parfois mal pensé. C’est particulièrement le cas ici. Le texte instaure le dépôt obligatoire à la BNS des fonds placés sur les comptes servant aux paiements courants. Mais, quid des comptes sur livret, des dépôts à terme et même des OPCVM monétaires qui sont transformables rapidement en liquidités ? Il oublie de préciser que, si les dépôts des banques à la BNS ne sont pas rémunérés, les déposants devront payer leur banque pour qu’elle leur assure un service de trésorerie. Peut-on justifier ce projet par la thèse qu’ainsi les dépôts seraient totalement garantis ? Actuellement, les dépôts auprès des institutions financières sont garantis jusqu’à 100 000 francs suisses par déposant et établissement (environ 87 000 euros) ; avec la réforme, seuls les dépôts à vue seraient garantis.

Selon l’article 99a, la BNS devra mettre l’argent en circulation, sans dette, par des transferts à la Confédération, aux cantons ou aux citoyens. C’est la généralisation du QE for people. C’est la fin de la monnaie-dette. Mais la BNS n’aurait aucun actif face au passif que représenteraient les billets et les dépôts ; ses fonds propres seraient négatifs, ce qui n’est pas concevable pour une banque. Ce serait en fait un artifice comptable pour masquer une partie de la dette publique (car la BNS appartient à l’État). Certes, les partisans du projet proclament qu’une Banque centrale n’a pas besoin de fonds propres, pouvant toujours créer de la monnaie, mais cet argument justifierait qu’un État souverain n’a pas à se soucier de sa dette puisqu’il peut toujours faire appel à sa Banque Centrale. Par ailleurs, distribuer de l’argent aux citoyens est le rôle de la politique budgétaire et de l’État, rôle qui ne peut être confié une Banque Centrale indépendante. Que ferait la BNS s’il faut réduire la masse monétaire en circulation pour lutter contre un excès de demande ou l’inflation, aurait-elle le droit de reprendre ses transferts ?

Mettre la monnaie en circulation sans dette par des transferts définitifs est contradictoire avec deux autres phrases du projet : « la BNS garantit l’approvisionnement de l’économie en crédits » et « Elle peut octroyer aux banques des prêts », qui semblent indiquer au contraire que la BNS continuera à gérer le marché monétaire et à financer les banques, donc que la création monétaire continuera à se faire en partie par du crédit bancaire. C’est le rôle de la politique monétaire de contrôler la distribution du crédit ; cela suppose qu’elle contrôle le financement des banques via le marché monétaire. Intervenir sur le marché monétaire, refinancer les banques, garantir la dette publique et le système financier nécessite que la BNS dispose de ressources, donc que son actif n’ait pas été donné à l’État ou aux ménages.

Imaginons que les dépôts à vue représentent 100 milliards qui sont transférés des banques à la BNS. L’État ne va pas augmenter son déficit de 100 milliards et les banques ne vont pas réduire de 100 milliards leurs crédits à l’économie. Donc, ces 100 milliards devront être prêtés aux banques par la BNS. Le gain pour la BNS est que les réserves obligatoires peuvent ne pas être rémunérées et que le refinancement des banques pourrait se faire à un taux rémunérateur (du moins en période normale, c’est-à-dire de taux d’intérêt positif).

Un projet plus modeste, la séparation des banques de dépôts et des banques de marchés (5), l’interdiction de certaines activités purement spéculatives, un certain contrôle social des critères de distribution du crédit bancaire, aurait été préférable et aurait, sans doute, eu plus de chance de succès.

Le Conseils des États a prôné le rejet de l’initiative populaire par 42 voix contre 0 et 1 abstention. Le Conseil national l’a rejeté par 169 voix contre 9 et 12 absentions. L’initiative n’est soutenue par aucun des partis politiques suisses. Elle est combattue par la BNS et les grandes banques suisses (ce qui peut braquer les électeurs). Selon le dernier sondage publié, 54% des électeurs suisses auraient l’intention de voter contre ; 39% pour et 7 % hésiteraient encore.

Il est évidemment difficile pour les citoyens de se prononcer sur des questions délicates de fonctionnement du système monétaire et bancaire. D’un côté, la peur de l’inconnu, la crainte d’affaiblir le système financier (qui représenterait 9,1% du PIB suisse) jouent en faveur du Contre. De l’autre, beaucoup de citoyens s’indignent des revenus excessifs des banquiers et des financiers, s’inquiètent de l’instabilité induite par la spéculation financière financée à crédit s’étonnent du pouvoir exorbitant des banquiers d’accorder ou de refuser un crédit sur la base de seules considérations financières. Le Contre l’emportera sans doute et heureusement (car le projet est mal conçu), mais les problèmes posés par la financiarisation des banques et les carences de leur régulation demeureront.

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1 https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20180610/initiative-monnaie-pleine.html

2 C’est le terme suisse pour compte à vue.

3 Voir : Maurice Allais, L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, Hermann.

4 En 2012, cependant le FMI a publié une étude de Jaromir Benes et Michael Kumhof (2012) : The Chicago Plan
Revisited, qui prétend évaluer le projet d’Irving Fisher à l’aide d’un modèle DSGE. Selon l’étude, le 100% monnaie permettrait d’augmenter de PIB américain de 10% et de maintenir une inflation nulle. En fait, celle- ci repose sur des hypothèses plus que contestables : le contrôle de la masse monétaire permettrait d’imposer une inflation nulle ; dans ce monde stabilisé, les crédits aux ménages et les crédits de trésorerie ne seraient plus nécessaires ; les ménages accepteraient de détenir des masses importantes de dépôts non-rémunérés de sorte que l’État pourrait se financer à très bas coût ; les économies de charge d’intérêt permettraient une baisse des taux d’imposition, qui dans leur modèle néo-classique, entraînerait une forte hausse de la production, qui elle-même permettrait une nouvelle baisse des taux d’imposition, donc une hausse de la production, etc…dans un mécanisme cumulatif. Le FMI a publié cette étude, mais n’a jamais proposé mettre en œuvre la réforme.

5 D’ailleurs, le projet de réforme monétaire d’Irving Fisher avait abouti au Glass-Steagal Act.

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[Jean-Michel NAULOT]

J’ai ici un texte qui, tout en datant de quelques mois avant la crise de 1929, est d’une actualité extraordinaire. C’est un texte que j’ai retrouvé dans le rapport annuel de la Federal Reserve de New York :
« De nombreuses années d’expérience ont montré que les augmentations de crédit au-delà des besoins de l’économie conduisent normalement à des résultats malheureux, à des excès spéculatifs, à des hausses de prix, à des bulles qui se terminent dans la dépression ». Ce texte est saisissant car on sent que les membres du conseil de politique monétaire à l’époque, réalisent avec effroi qu’ils ont augmenté les taux d’intérêts beaucoup trop tard. En réalité, ces derniers ont été augmentés vers 1928/1929 car l’inflation était parfaitement maîtrisée dans les années 1920, et en donc conclu qu’ils pouvaient continuer à maintenir des taux d’intérêts bas.

Tout d’abord, je voudrais évoquer pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, le sujet du « 100% monnaie » revient à l’actualité. Il y a deux raisons. La première est la financiarisation excessive. La deuxième, dont on ne parle pas, ou peu, est le fait que les textes européens de résolution bancaire, lorsqu’une banque est difficulté, prévoient de mettre en jeu les dépôts. Je pense personnellement que cette disposition est systémique. On l’a vu avec Banco Popular en Espagne : en l’espace de trois jours, avant que la banque soit rachetée en urgence par Santander, 20% des dépôts sont partis.

Je voudrais donc énoncer en quelques points quels sont les doutes que j’ai personnellement sur cette initiative. Sur le plan théorique, elle est séduisante, mais peut-elle être appliquée telle qu’elle est présentée ?

Le premier point concerne la manière dont on ajuste les dépôts aux crédits.

Le deuxième concerne la transformation. Je considère que c’est le métier des banques de faire la transformation car c’est cela qui apporte de la souplesse dans l’économie. En tant que banquier je prêtais rarement sur quelques mois, presque toujours sur cinq ans, sept ans, dix ans, vingt ans… Une centrale électrique au Moyen-Orient, ce sont des crédits à 20ans. Donc vous voyez bien qu’il est impossible d’avoir des dépôts à 20ans, il y a une question technique.

Le troisième élément est le problème du retour au découpage en trois entre les banques de dépôts, les banques de crédit et d’épargne et les banques de marché. En tant que banquier cela me paraît trop difficile, je suis partisan d’une filialisation de certaines activités à risque, parce que quel que soit le mode de filialisation, c’est un processus qui augmente le coup de financement de ces activités à risque, et par conséquent les réduit.

En quatrième élément, je pense qu’il faut laisser une vraie place au marché et à la concurrence. Un financement de projet monté sur 10 à 20 ans nécessite une mobilisation d’équipe de 20 ou 30 personnes qui se réunissent deux fois par semaines et pendant 1an, ce sont de projets très lourds.

Enfin, le dernier point concerne le pilotage de la création monétaire en fonction du PIB et de l’inflation. Dans l’idéal, c’est quelque chose de bien mais nous vivons dans un monde à turbulences permanentes : nous sommes obligés de tenir compte de la vitesse de circulation de la monnaie, des crises pétrolières etc…

Donc, même si la transition est longue, la principale menace est celle d’un « credit crunch ». Je pense qu’il y a des moyens d’actions dans notre système actuel. Je vais détailler quatre points.

Premièrement, le problème du statut des banques centrales. La première priorité qui peut être faite du jour au lendemain et qui me parait indispensable, c’est d’introduire devant les autres objectifs, notamment l’inflation, la stabilité financière.

Deuxièmement, le problème d’indépendance des banques centrales va s’imposer. Là-dessus, le projet de « monnaie pleine » me semble assez ambiguë puisqu’on parle d’un « organisme étatique indépendant ». Quand on prend l’exemple Suisse, voit un gouvernement qui a systématiquement une politique d’excédent budgétaire. Logiquement, un excédent budgétaire important et systématique sur la longue durée veut dire une monnaie forte. Et on voit depuis dix ans la BNS se battre contre la réévaluation de la monnaie. Le bilan de la FED c’est 22% du PIB américain, celui de la BNS c’est 105% du PIB suisse. On a là sous les yeux un exemple de divergences complètes entre un gouvernement et une banque centrale. J’étais contre l’indépendance des banques centrales. Si les banques étaient restées dans la dépendance des gouvernements, je me demande si elles auraient créé autant de monnaie que n’en ont créé les banques centrales indépendantes depuis vingt ans.

Le troisième point qui me semble important concerne la politique prudentielle. Je suis complètement d’accord avec les critiques et je vais résumer en trois mots ce qui se passe de ce côté-là. On avait un ratio cooke qui fonctionnait très bien à partir de la fin années 80, c’était transparent, c’était universel, c’était le ratio ou on mettait 8% de fonds propres pour n’importe quel crédit. En 2004, les gouverneurs des banques centrales se réunissent sous la direction de Jean- Claude Trichet et décident deux choses : pondérer les risques et autoriser les banques à calculer elles-mêmes leur ration réglementaire. En tant que banquier, je peux affirmer qu’entre 2005 et 2008 j’ai pu faire jusqu’à cinq fois plus de crédits avec des groupes du CAC 40. Entre des groupes bien notés et d’autres moins bien, il y avait des écarts de 1 à 3. Il y a donc eu une introduction d’un biais inégalitaire dans l’allocation des ressources.

De nombreux experts ont réalisé que c’était une erreur majeure. La création monétaire est donc finalement, au niveau des banques commerciales, par un consentement au crédit, et au niveau des banques centrales depuis dix ans, par le quantitative easing. Mais il faut se souvenir que c’est la Banque centrale qui autorise ou non la création monétaire à travers la politique prudentielle et à travers la politique des taux d’intérêts. Je prône donc un retour à un système à la main du régulateur, standardisé. Je pense que depuis vingt ans il y a une corrélation totale entre la dette et les crises financières car, à chaque crise financière, il y a une réinjection monétaire dans l’économie pour redonner confiance, les banques centrales maintiennent des taux à 0% et par la dette privée, la crise resurgit. C’est donc un engrenage redoutable.