Quels choix énergétiques pour la France ?
Séminaire du 2 février 2017.
ENERGIE
Intervenants : Jean-Louis Bal (président du syndicat des énergies renouvelables), Claude Mandil (ancien directeur général de l'agence internationale de l'énergie), Jacques Percebois (professeur émérite à l’université de Montpellier), Daniel Verwaerde (Administrateur Général du CEA) Modérateurs : Henri Conze, Alexandre Rojey.
7/7/20249 min read
Dix ans après le séminaire de 2006 (Assemblée Nationale) sur l’énergie, un nouveau séminaire a été organisé par le Forum du Futur au Palais du Luxembourg. Une première table ronde (« les objectifs d’un politique de l’énergie ») s’est tenue le 15 décembre 2016, une deuxième (« technologies et filières », le 12 janvier 2017. Cette note reprend les principales interventions et les convergences apparues le 2 février 2017 lors de la troisième table ronde (« Quels choix pour la France ? »).
Etablir ou rétablir des objectifs cohérents
La politique énergétique française souffre de trop d’objectifs contradictoires alors qu’elle demanderait visibilité et continuité.
Un premier volet de cette politique est le plan de transition énergétique, conçu avant tout en vue d’une lutte contre le réchauffement climatique qui s’appuierait essentiellement sur le développement des énergies renouvelables (ENR) et sur les économies d’énergie. La décision de donner la priorité à cet objectif devrait être accompagnée par une politique énergétique à long terme, ce qui ne doit pas nous empêcher de conduire les analyses techniques et économiques destinées à mieux appréhender les mécanismes climatiques en jeu. Mais il faut être extrêmement prudent s’agissant de toute vision à un horizon éloigné : personne n’avait prévu il y a dix ans la baisse importante du coût des énergies renouvelables. En sera-t-il de même du stockage de l’électricité à l’horizon 2030 ou 2040 ? Celui-ci constitue une clé essentielle de leur développement à grande échelle ; par exemple, même s’il est certain que l’on poursuivra l’effort portant sur le renoncement aux matériaux carbonés, un certain nombre d’obstacles apparaissent ou vont apparaitre, entre autres la question de la décarbonation du transport qui restera longtemps la plus difficile. Il est clair que penser vouloir atteindre à court ou même moyen terme, un mix énergétique uniquement constitué par des énergies renouvelables, comme certains le suggèrent, est un mythe.
Mais ce volet de notre politique ne risque-t-il pas d’être décalé par rapport aux orientations du reste du monde ? En effet, à horizon de vingt ou trente ans, il n’est pas possible d’éviter une croissance mondiale de la démographie, de l’urbanisation et de l’économie, essentiellement en Asie et en Afrique, ce qui va conduire à une demande d’énergie en hausse. Pour faire face à cette demande, contrairement à ce qui était redouté il y a dix ans ou vingt ans, le monde ne risque pas, à court terme, sauf en cas de tension géopolitique, de manquer d’énergie, hélas utilisant essentiellement des matières fossiles. A noter cependant que 300 milliards de dollars sont actuellement investis par an dans le monde dans les énergies renouvelables (d’abord l’hydraulique, puis l’éolien terrestre et le photovoltaïque) et que les coûts de production baissent fortement (jusqu’à 30 à 40 $ le MW-h) ainsi que celui de leur raccordement aux réseaux.
Un autre volet est celui de notre politique nucléaire, si tant est que nous en ayons encore une, étant donné la confusion qui règne en matière de décisions ! Il est évident que la France a la chance d’avoir un parc nucléaire performant dont les investissements sont largement amortis. Le fermer serait une aberration économique ! N’oublions pas, après la décision de Berlin d’arrêt des centrales nucléaires, la réaction de l’allemand Volkswagen déclarant vouloir désormais acheter son électricité en France ! Le nucléaire doit donc faire partie du mix énergétique, même après la diversification en cours des sources d’électricité. Son rôle sera d’autant plus important que l’ambition de maitrise de la production et des rejets de CO2 sera grande. Si cette ambition se limite, à long terme, à 300 grammes de CO2 par kWh, le débat restera ouvert. Par contre, si l’objectif de 70 grammes est retenu, le nucléaire ne pourra que rester une composante majeure, même si le développement des énergies renouvelables, à condition que les ruptures espérées sur leur stockage se réalisent, pouvait permettre un rééquilibrage.
Mais avec ou sans nucléaire, ou quelle que soit la part de celui-ci dans le mix futur, on n’échappe pas à une « lapalissade », c’est-à-dire le constat que la presque totalité des énergies non-carbonées et non-émettrices de gaz à effet de serre (renouvelables et nucléaire) produisent directement essentiellement de l’électricité ! Lutter contre le réchauffement climatique passe donc par « l’électrification » de notre économie. Il importe donc d’être cohérent et de revoir toutes les règlementations absurdes qui ne vont pas dans ce sens : c’est, en particulier, le cas de la directive de 2012 sur le chauffage des bâtiments, qui pénalise fortement le nucléaire.
Un autre aspect d’une politique de l’énergie concerne la notion d’indépendance. Pour beaucoup de raisons, en particulier les défis évoqués précédemment, cet objectif est relativement moins présent dans les réflexions actuelles que dans celles passées, à tort peut-être. Mais n’est-ce pas aussi parce que l’indépendance énergétique passe probablement plus par la diversité des sources d’énergie et de leur approvisionnement, évolution que nous sommes en train de vivre, que par des productions domestiques ?
Enfin, posons-nous la question des priorités. Le répit qui nous est donné par la réévaluation des ressources disponibles dans le monde devrait nous laisser le temps nécessaire pour conduire un effort de recherche et développement plus important que l’effort actuel, afin que nous puissions descendre d’ici 2050 le plus bas possible en masse de CO2 par kWh produit. Ce répit devrait aussi nous permettre d’aborder la question du coût de l’énergie, le grand absent des réflexions actuelles… et du plan de transition énergétique. Combien de temps encore les citoyens – consommateurs vont-ils supporter d’être des « vaches à lait » ? Il est nécessaire désormais d’avoir une politique de l’énergie « au moindre coût ». C’est aussi une condition de la compétitivité économique de la France. Profitons donc du temps qui nous est donné pour concentrer nos efforts sur la R&D, le stockage d’énergie abondant et peu coûteux, la réduction des coûts dans le nucléaire, etc.
Rétablir ou établir une saine gouvernance
Dans le domaine de l’énergie, les conditions dans lesquelles les décisions sont prises, en France et en Europe, ainsi que les décisions elles-mêmes souffrent de beaucoup d’incohérences. En particulier, on assiste à une « balkanisation » tant de l’Union Européenne que des entreprises européennes du secteur.
La gouvernance du domaine de l’électricité semble aujourd’hui soumise à deux pressions contradictoires : la première est l’ambition de la Commission Européenne qui voudrait l’intégration des énergies renouvelables dans le marché de l’électricité. Même si cette ambition s’inscrit dans la cohérence d’une politique communautaire, sa mise en œuvre doit être progressive. En effet, les filières renouvelables électriques sont le fait d’un écosystème de petits producteurs pour lesquels l’accès au marché constitue encore une difficulté à court terme. L’autre pression découle de la volonté croissante des territoires et collectivités désireuses de s’investir dans la transition énergétique, y compris du point de vue capitalistique. C’est une évolution logique dans la mesure où les installations de production à partir d’énergies renouvelables sont finalement des infrastructures de «taille humaine» qui correspondent bien à l’échelon territorial. En valorisant des ressources locales, elles génèrent de la valeur ajoutée qui profite à l’économie des territoires. Mais cette évolution ne risque-t-elle pas de se heurter au principe de l’égalité de tous vis-à-vis de l’accès à l’électricité et à son prix ?
Par ailleurs, nous sommes sous le régime du marché européen de l’électricité conçu pour le court terme, en particulier avec le refus de Bruxelles d’y intégrer les contrats d’électricité à long terme. Tout se passe comme si on voulait le marché, mais non les conséquences du marché ! En outre, il faut tenir compte des consommateurs qui ont des réactions souvent paradoxales : ils acceptent la très forte volatilité des prix du pétrole, mais la refusent pour ceux de l’électricité ! Le marché, tel qu’il est conçu aujourd’hui, en privilégiant le « marché spot », ne permet donc pas de dégager une vision suffisante pour asseoir une politique raisonnable d’investissements. Il faudrait impérativement tendre vers un marché de capacités, c’est à dire décider une nouvelle régulation permettant une tarification du réseau fondée, au moins partiellement, sur des puissances garanties disponibles et non plus sur les seuls échanges d’énergie. La raison voudrait que l’on choisisse dans le domine de l’électricité un prix de raccordement au réseau élevé et un prix de consommation bas, comme ce qui a été fait lors de la dérégulation des télécommunications avec des montants d’abonnements élevés et des appels téléphoniques gratuits ou presque.
La succession d’absences ou de trop-pleins de gouvernance a eu, évidemment, des conséquences négatives. Citons-en deux : la première fut la mise en place qu’il aurait fallu à tout prix éviter de rentes de situation dans le domaine des énergies renouvelables ; nous avons commis là la même erreur que celle faite dans le cadre de la politique agricole commune, c’est-à-dire garantir des prix. Comme par ailleurs il n’a pas été tenu compte, ou pas assez compte, des coûts « système », par exemple ceux de l’injection des ENR dans le réseau, on peut s’interroger sur le montant très élevé des sommes dépensées. La deuxième conséquence est la question du stockage qui est et qui restera très difficile à résoudre en l’absence d’une vision politique cohérente, en particulier s’agissant des investissements à réaliser. Si pour le stockage infra-journalier les volants inertiels peuvent être, avec les batteries, une solution partielle et si à l’échelle de la semaine l’hydraulique (STEP) existe, même s’il est limité en France à un ou deux gigawatts disponibles, s’agissant de plus longues durées, dans l’état actuel de nos connaissances seul le passage par l’hydrogène est actuellement envisageable. En outre, ces options restent coûteuses et difficiles à intégrer de façon massive, notamment pour des questions de réseau .Or, dans une certaine mesure, le développement à grande échelle d’énergies renouvelables économiquement viables passe par des percées technologiques dans le domaine du stockage et cela d’autant plus si les ENR devaient représenter 80 % et au-delà du mix électrique !
Où rechercher des ruptures technologiques ?
Il est clair qu’aujourd’hui c’est essentiellement dans le domaine de la R & D qu’un gros effort est à réaliser.
Concernant les énergies intermittentes, si le développement de la deuxième génération de panneaux photovoltaïques doit être poursuivi et pourrait nous permettre sur ce créneau de concurrencer la Chine, rappelons qu’un changement d’échelle passe par une rupture technologique sur la question du stockage. On travaille actuellement sur les batteries sodium-ion pouvant éventuellement remplacer celles lithium-ion, mais il n’y a pas de percées technologiques envisagées à court terme.
S’agissant de l’hydrogène, on parle beaucoup d’un stockage sous forme d’hydrures, mais celui sous très fortes pressions (700 bars ?) serait moins coûteux. Un gros effort est à faire sur cette question En effet, l’hydrogène est susceptible d’avoir une place croissante dans les futures politiques énergétiques. Il peut devenir une ressource essentielle dans le domaine des transports ou comme intermédiaire de stockage de l’électricité produite à partir des ENR. Notons qu’au stade actuel de la recherche et du développement dans la filière hydrogène, la France est bien placée, qu’il s’agisse du stockage de l’hydrogène sous pression, de l’électrolyse haute température (avec des rendements supérieurs à 90%) ou des piles à combustible. Mais il faudrait, d’une part, définir une stratégie industrielle entre les différents acteurs concernés et, d’autre part, poursuivre sans à-coups les travaux de R & D sur ces trois composantes (électrolyse, stockage et piles à combustible) afin d’être capable de maitriser les indispensables futures avancées technologiques. Il est indispensable de ne pas se limiter à la recherche précompétitive et d’aller jusqu’à la réalisation industrielle, de façon à favoriser le développement de véritables filières technologiques.
Dans le domaine de l’énergie nucléaire, la France, tout en poursuivant la restructuration de sa filière, doit élargir à court terme son catalogue de réacteurs, d’abord avec un 1000 MW à côté d’un EPR qui connait encore des difficultés, puis, d’ci à dix ans, avec un petit réacteur modulaire (SMR) pouvant, soit correspondre aux besoins de plus petits territoires, soit fonctionner en batterie : la révolution serait à la fois dans le concept du chantier lui-même et, surtout, dans la production de modules entiers en usine, comme ce qui est fait dans l’industrie aéronautique. A plus long terme, il faudrait envisager un nucléaire très économe en ressources naturelles et très sobre en production de déchets. Pour cela, il s’agira de repenser la filière en considérant en un même concept le cycle du combustible et le réacteur.
Enfin, une question se pose, trop souvent négligée : comment gérer le cas des cimenteries, de la sidérurgie, des industries agro-alimentaires, etc., fortement émettrices de gaz carbonique ? Les techniques de décarbonation, de stockage ou de séquestration du CO2 peuvent être appliquées dans un tel cas. Elles sont matures et l’industrie française est particulièrement bien placée. En réalité, pour attirer les investisseurs, il manque un modèle économique ; le prix du CO2 est beaucoup trop bas pour que l’on s’intéresse vraiment à ces techniques.
Mission
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