Réflexion sur l'e-démocratie
Par Henri Conze, le 30 janvier 2017.
NUMÉRIQUE
7/7/20244 min read
La démocratie dans le Monde, en Europe et, tout particulièrement, en France traverse une crise. Le fossé se creuse entre les citoyens et le monde politique. Ce dernier, de plus en plus professionnalisé et égocentrique, semble incapable d’entamer les nécessaires réformes auxquelles le pays paraît être prêt, de s’adapter à l’avènement de l’ère du numérique, etc. Une partie du monde intellectuel en profite en s’efforçant de promouvoir une pensée unique que certains médias diffusent dans l’opinion comme si elle était la vérité intangible. Quant à la Justice, censée faire appliquer les lois votées par les représentants du peuple, une partie de ses membres les interprète à sa guise, voire essaie, par le truchement de la jurisprudence, de se substituer au législateur en s’abstenant de l’interroger, quand cela serait nécessaire.
L’avènement de l’ère du numérique, grâce aux capacités nouvelles d’intervention en temps réel de l’immense majorité des citoyens, va permettre de connaître leur opinion sur tous les sujets, de recueillir leurs suggestions, d’en tenir compte dans les orientations à prendre, etc. Une telle révolution devrait, en principe, corriger au moins une partie des défauts de fonctionnement de la démocratie actuelle.
Afin d’essayer de comprendre ce que pourrait être demain l’e-démocratie avec ses atouts, ses contraintes et ses dangers, je me réfère à un des profonds bouleversements de notre histoire qui par beaucoup d’aspects lui est semblable, la Réforme apparue au 16è siècle. S’appuyant sur le progrès intellectuel et le changement de paradigme consacrés par la Renaissance, un nouveau modèle de pratique du Christianisme fut alors proposé. Il voulait s’affranchir des intermédiaires, prêtres, évêques et Pape, dans la relation entre le chrétien et Dieu, intermédiaires qui avaient perdu leur crédibilité aux yeux d’une partie de la population pour des raisons qui apparaissent très proches de celles qui président au désamour actuel entre le citoyen et le politique. Cette révolution n’aboutit pas à un quelconque renoncement aux valeurs du Christianisme ou à ses fondements, le Nouveau Testament et la Bible, mais à un retour aux sources. Si des changements furent apportés aux pratiques religieuses, ou si des dogmes furent abolis par les tenants de la Réforme, seuls furent concernés les apports ou la « jurisprudence » apparus au fil des siècles du fait de l’omniprésence –ou monopole- de l’Église catholique. Si le rôle du nouveau clergé protestant fut considérablement réduit par rapport à ce qu’avait été celui du clergé catholique, il ne disparut pas pour autant dans la mesure où tout croyant avait gardé le besoin de cohérence dans sa foi, celui de sauvegarder ses valeurs fondamentales et son désir de continuer à appartenir à une famille. Notons que très vite la Réforme ne fut pas monolithique ; plusieurs églises cohabitèrent, généralement hors climat de compétition ou de conflit, mais en raison d’approches et de cultures différentes ou de circonstances politiques particulières. Notons aussi la réaction de l’Église catholique apparue avec la Contre réforme qui mit fin à un certain nombre d’abus ou de dérives ! L’avènement et l’évolution de l’e-démocratie vont probablement suivre un chemin de même nature que celui que suivit la Réforme dans la mesure où les principes ayant présidé à ces deux « ruptures » sont semblables, l’établissement d’une relation directe et permanente des êtres avec Dieu dans un cas, avec la Politique dans l’autre.
S’agissant de l’e-démocratie, son développement va rencontrer un certain nombre d’obstacles, de risques pour l’exercice de la démocratie elle-même, voire de menaces sur celle-ci étant donné l’éventualité de l’appropriation par un petit nombre des outils de communication. Par ailleurs, la possibilité et, donc, la tentation de consulter en permanence les citoyens peuvent conduire à l’incohérence des lois et règlements de même qu’au triomphe de toutes les utopies. Incohérence et déni des réalités sont, nous le savons, des dérives majeures de notre démocratie actuelle. Qu’en sera-t-il si ce n’est plus une poignée de parlementaires ou de responsables qui s’engage dans une voie sans issue, mais tout un peuple ? Les premiers sont capables, en principe, de retrouver le chemin de la raison et d’effacer ce qu’ils ont bâti à tort ; ils ont, de toute façon, à rendre des comptes à leurs électeurs de façon régulière. De tels « garde fous » paraissent, à priori, beaucoup plus difficiles à envisager dans le cas du peuple « souverain » !
Que peut-on envisager ? Il sera, d’abord, nécessaire de remettre en exergue les quelques valeurs fondamentales, un peu trop affadies aujourd’hui, que tout citoyen doit accepter de vivre et de défendre, et qu’aucun acte, aucune action, exécutée dans le cadre de l’e-démocratie ne sauraient violer : l’attachement à la démocratie et aux droits de l’homme, l’indispensable solidarité entre individus et entre générations, le respect des droits des minorités, comme des individus, la priorité à donner au progrès économique et social, le rejet des utopies, seules les réalités devant s’imposer dans les choix politiques,
Il s’agira, par ailleurs, d’assurer une « canalisation » des débats, c’est-à-dire une capacité d’intervention acceptée par tous, chargée de signaler toute incohérence, toute ambiguïté, tout déni de réalités, etc., susceptibles d’entacher telle ou telle action proposée au plan politique par le truchement du Net. Deux conditions à la mise en œuvre de cette capacité : elle interviendra uniquement afin de préserver les valeurs morales fondamentales et les simples règles de bon sens, sans que soit menacée la liberté d’opinion ; ses analyses et propositions devront être confirmées (ou infirmées) par les e-citoyens.
Enfin, deux « garde fous » peuvent être envisagés ou apparaître : la Constitution, car tôt ou tard se posera la question de la conformité de l’e-démocratie à son égard ou des changements à apporter que ce soit pour lever tel ou tel obstacle à la mise en œuvre des nouveaux concepts ou pour en faire profiter l’exercice de la démocratie en général ; la réaction « naturelle » du monde politique et des institutions qui, se sentant menacés, peuvent parfaitement se réformer en profondeur, ainsi que le fit la contre-Réforme catholique !
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