Table ronde du 6 mars 2015 Intervention de Gérard Lafay

UNION EUROPÉENNE / ZONE EURO

7/7/20246 min read

Dans les années cinquante, la construction européenne était fondée sur deux objectifs : d’une part, la volonté de réconcilier les peuples, qui s’étaient déchirés pendant les deux guerres mondiales, d’autre part la nécessité de faire face en commun à la menace du camp communiste, qui s’était établi sur la moitié du continent. Ce projet, illustré par l’amitié entre le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, fut une réussite évidente pendant trois décennies, pratiquant une logique de vraie subsidiarité. Depuis lors, et surtout après la chute du mur de Berlin, la construction européenne a été remplacée par une entreprise de déconstruction, provoquant un clivage entre les pays européens.

Perdant ses racines chrétiennes, l’Union européenne s’est transformée en une machinerie bureaucratique, pilotée par des instances dépourvues de légitimité démocratique (Commission de Bruxelles, Cour de Justice de Luxembourg et Banque centrale de Francfort). L’euro s’inscrit dans une logique centralisatrice tentant d’uniformiser les pays, allant à l’encontre du principe de subsidiarité affiché officiellement. Les institutions européennes s’efforcent ainsi d’éradiquer les identités nationales et de démanteler les structures traditionnelles, tout en multipliant des réglementations tatillonnes.

La situation présente de l’Europe n’est que la manifestation la plus visible de l’échec de l’euro. Face à une vaine tentative d’uniformisation des pays, la spécificité structurelle de chaque nation s’est manifestée, étant le fruit naturel de son histoire, de son appareil productif et du comportement de son peuple. La divergence inéluctable des rythmes d’inflation a fait diverger ipso facto les taux de change réels des économies, en dépit de l’établissement de la monnaie unique. Les disparités structurelles entre les pays membres se sont dès lors accentuées. Si, vis-à-vis du reste du monde, la situation s’est améliorée récemment avec la baisse de l’euro, elle succède à de nombreuses années de surévaluation. L’existence même de l’euro a ainsi creusé, dans de nombreux pays, un large déficit, tant dans le budget de l’Etat que dans sa balance extérieure.

La réaction des institutions de l’Union européenne, face à une telle situation, a été de refuser d’admettre leur erreur. Bien au contraire, elles ont prétendu dicter leur politique aux pays membres, en dépit de l’expression démocratique manifestée dans des élections. Le Président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker, a même osé dire qu’"il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens". Or les dits traités ont été ratifiés en dépit de l’hostilité des peuples, qui ont voté négativement dans les rares cas où ils avaient été consultés par référendum. Le résultat a été de monter les peuples européens les uns contre les autres, à l’opposé de l’objectif initial de la construction européenne.

En fait, la seule solution concevable, pour sauver l’euro, serait d’établir durablement une Europe des transferts entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres, ainsi qu’une mutualisation des dettes. Une telle solution, présentée au nom du rêve chimérique d’un État fédéral, ne ferait en réalité qu’accentuer le caractère centralisé de l’Union européenne. Cette solution, purement économique, supposerait qu’existe, à l’intérieur de l’Europe, une solidarité de même nature que celle que l’on observe à l’intérieur de chaque nation. Elle est inapplicable politiquement car elle ne sera pas acceptée par les plus importants pays membres.

Jusqu’à présent, l’euro a été maintenu en survie artificielle par des politiques dont l’échec est devenu patent. Faute de procéder à de nécessaires dévaluations monétaires, dans ceux des pays souffrant d’une situation déficitaire, les institutions européennes ont imposé aux gouvernements nationaux une dévaluation interne, c’est-à-dire une diminution drastique des salaires. Celle-ci s’est accompagnée d’une hausse des impôts et d’une baisse aveugle des dépenses publiques, portant en priorité sur les investissements et les prestations sociales. Si les institutions supranationales se sont vantées d’un succès apparent de ces politiques (rétablissement de l’équilibre budgétaire et de la balance commerciale), ce fut au prix d’un appauvrissement dramatique que les peuples européens ne peuvent plus supporter. La victoire du mouvement Syriza en Grèce, le 25 janvier dernier, a montré que la démocratie finit par l’emporter sur la technocratie.

La période actuelle va offrir un répit pour résoudre les problèmes de fond posés par le fonctionnement de l’Europe. Certains facteurs nouveaux paraissent en effet susceptibles de permettre temporairement un certain redémarrage de la croissance économique dans nos nations. Le premier est la chute accentuée du prix du pétrole, qui allège la facture de tous les pays importateurs. Le deuxième est la baisse accentuée du taux de change de l’euro depuis l’été 2014 : après avoir étouffé la croissance économique de la zone depuis plus de dix ans, celui-ci est devenu plus raisonnable, étant tombé aux alentours de 1,05 dollar en mars 2015. Le troisième est l’assouplissement des institutions européennes, qui ont contourné l’inflexibilité germanique pour tenter d’enrayer le cercle vicieux de la déflation.

Le moment est donc venu de répondre calmement à l’angoisse exprimée par le peuple grec. Les gouvernements des autres pays, obnubilés par des approches idéologiques, paraissent actuellement désarmés, et on peut craindre qu’ils s’avèrent impuissants pour sortir d’un bras de fer stérile. N’attendons pas avant que d’autres pays du Sud de l’Europe ne soient plongés dans des crises d’endettement ou dans des bouleversements politiques incontrôlables, et avant qu’une nouvelle crise mondiale ne provienne du dérèglement persistant de la finance. C’est pourquoi le colloque international, organisé par la fondation POMONE, se situe à un moment crucial pour l’avenir de l’Europe. Il propose de réfléchir ensemble à des solutions réalistes pour l’avenir monétaire de notre continent, en tenant compte des disparités structurelles entre nos pays.

Aujourd’hui, pour sauver l’Europe, il est nécessaire de démanteler l’actuelle architecture institutionnelle de l’Union européenne et de négocier la signature d’un nouveau traité, de nature confédérale, en s’inspirant du projet établi naguère par le cercle du 29 mai, sous la direction de Michel Robatel. Dans ce projet, l’Union européenne est remplacée par une Communauté des États européens, répondant aux aspirations des peuples. Ses dispositions devraient toutefois être améliorées aujourd’hui, notamment sur le plan monétaire où le projet supposait que l’euro soit maintenu dans une partie de la zone.

C’est dans un tel cadre que pourrait s’insérer l’organisation monétaire présentée ce matin. Tous les pays de l’Europe post-communiste pourraient ainsi être conviés à une telle œuvre, dont voici les grandes lignes :

- Le véritable pouvoir appartient au Conseil des chefs d’État ou de gouvernement.

- La fonction des fonctionnaires européens est supprimée. Dans les organes d’exécution, ils sont remplacés par des agents publics détachés par leurs États respectifs pour une période de cinq ans non reconductible.

- La Commission de Bruxelles est dissoute. Elle est remplacée par un Secrétariat général et des Agences.

- La Cour de Justice de l’Union est supprimée, des formules d’arbitrage international étant prévues en cas de litiges.

- Le prétendu "acquis communautaire" est passé au crible par un Comité spécialisé qui dresse, pour le Conseil européen, la liste des dispositions communautaires que les États membres s’engagent à conserver et de celles susceptibles d’être remises en cause, ou renvoyées à la compétence des États.

- L’objet et la durée des décisions de la Communauté des États européens requièrent l’unanimité. Cependant, à titre exceptionnel et par accord unanime, les décisions peuvent être prises à la majorité qualifiée. Dans ce cas, les États minoritaires peuvent être exemptés des obligations qui en découlent.

- La Communauté des États européens exerce ses compétences à deux niveaux : le premier est celui des compétences obligatoires pour l’ensemble des États membres, le deuxième comprend des domaines de coopération, suivant la logique d’Une Europe à la carte, et auxquels la participation des États membres n’est pas obligatoire.